mercredi 29 novembre 2006

PERMIS DE CONSTRUIRE EN...1847

Ce qui devait n'être uniquement qu'une "cabane qu'ils s'engagent à démonter à la première injonction" notre ancêtre et son frère ont construit une bergerie en pierres bien taillées! Rien de bien nouveau donc sous le soleil...

UNE SUCCESSION QUI TRAINE...

Déjà à cette époque il y avait des successions qui "traînaient en longueur". Ici notre ancêtre Jean-Baptiste Lombard (1759-1833) reçoit quittance de ses co-héritiers du versement de leur quote-part d'héritage ...huit ans après

L'ARRIVEE DU CHEMIN DE FER A SERRES (05)

La ligne de chemin de fer était en construction, commencée vers 1870 elle fut mise en service en 1875.Le premier train passa à Serres le 1 février 1875.Cet énorme chantier occupait beaucoup fouvriers et le vin se vendait bien..... En 1870, mon grand père Jean Joseph REYNAUD avait acquis les Barillons,qui était en partie haute tout planté en vigne. Il y fit construire le cabanon en 1875,il fit également venir une prise d'eau sur la Blême. MOULIN son voisin lui vendit le passage sur sa propriété REYNAUD se chargeait de l'entretien de la prise. Le canal franchissait la Blême au sommet de la digue qu'il fit construire à cet effet Mon grand père devait mettre Peau au canal au mois d'avril si le temps le nécessitait.La construction de la ligne de chemin de fer offrait un avenir plein de promesses et avait apporté beaucoup d'argent dans le pays. Les chemins de fer expropriaient à des prix très élevés les terres telles celles arrière- grands-parents de Guy MOULIN qui furent expropriés pour construire la gare de Serres, la terre plantée en vigne fut payée un gros prix.Bonne affaire, car presque tout de suite le Phylloxéra (maladie des racines de la vigne) anéantit le vignoble français (et Serrois). Mon grand-père, qui récoltait alors 80 hectolitres de vin, était tombé l'année d'après à 6 hectolitres et plus rien l'année suivante. Ce fut presque la ruine....A Montclus, les vignes s'étendaient presque jusqu'au rocher.A Serres la vigne s'étendait de partout, le vallon de Saumane jusqu'au rocher pointu, Chauvin était tout planté, le village retraite n'était qu'une vigne, jusque dans Arambre, le Chaussais.Au pas de la Ruelle, Le rocher d'Agnelle était planté également, un câble traversait le Buëch en face le tunnel du chemin de fer.le vignoble se reconstruira lentement, après beaucoup d'essais.Le remède fut le greffage de nos plants de pays sur des porte-greffe américains, vigne sauvage très résistante. Mais ce remède contre le Phylloxéra apporta d'autres maladies inconnues dans le passé comme l'oïdium ,le mildiou... Lentement les gens se remirent à replanter, mais le vignoble d'autrefois ne fut jamais reconquis..En 1912, le vignoble reconstitué produisit 2000 hectos de vin. En 1928 la vigne à Serres occupe 67 hectares.Aujourd'hui elle a presque disparu, ne se prêtant pas a la monoculture et la proximité des vignobles de la vallée du Rhône lui ont enlevé sa raison d'être.Les chemins de fer ouvraient une ère de prospérité, les produits agricoles se vendaient mieux, le débouché principal étant Marseille.Les éleveurs de moutons, qui auparavant gardaient 3 ans leurs agneaux afin qu'ils puissent arriver sans trop de perte (le trajet a pied leur faisait perdre du poids), trouvaient là un débouché.La gare de Serres connut à cette époque une grande affluence, ce fut un renouveau, les prix s'en ressentirent... L'exploitation des bois de mine pour les galeries de la Mure devint une industrie jusqu'aux années 60. Les quais de la gare des marchandises étaient encombrés, tout était expédié par chemin de fer. Les produits coloniaux commencèrent à arriver. La gare était un va et vient permanent de charrettes et de voyageurs.Les charretiers au long cours, comme on pourrait dire durent se recycler dans les courtes distances. Le Nyonsais continuait les transports hippomobiles, les courriers transportant de huit à dix voyageurs changeaient de chevaux a St May.Il y avait aussi les relais, ou les charretiers trouvaient assistance, ils pouvaient manger et dormir, restaurer leurs chevaux et même en trouver d'autres pour leur aider à grimper les côtes de trop forte déclivité. Ces hommes rustiques, habitués à tous les temps n'étaient pas difficiles. Quelquefois, ils attendaient qu'un lit se libère pour prendre la place toute chaude d'un autre. Ces relais avaient toujours une grande remise pour abriter les charrettes de la pluie mais aussi des voleurs, et une écurie pour les chevaux.Les charretiers de Nyons transportaient surtout du vin ils avaient sur leur charrette 3 gros tonneaux de 300 litres chacun, appelés "demi muit".Les rosannais Hugues et Pinet passaient sur la route au petit jour, chargés de bois et de frêts divers. Les charretiers avaient presque toujours deux chevaux à chaque charrette. Les colliers des chevaux étaient garnis d'une multitude de grelots que l'on entendait de loin. La guerre de 1914 -1918 mit fin au roulage et l'automobile prit le relais des chevaux. Ce fut également la fin des radeaux descendant les bois de sapin de St Julien et Lus la Croix Haute sur le Buëch en crue jusqu'à Meyrargues, Marseille et Avignon pour la construction navale. Ces radeaux étaient constitués de grosses billes de bois de sapin reliées entre elles par des cordes, de façon à laisser une partie plate pour les deux radeliers.A St Julien en Bochaine le radeau était construit sur le gravier du Buëch en basses eaux, amarré sur une rive à un arbre afin qu'une petite crue de la rivière ne le déplace. Les radeliers attendaient une crue importante, montaient sur le radeau avec quelques cordes, une couverture et quelques vivres et larguaient les amarres et...à la grâce de Dieu.... Les radeliers conduisaient le radeau avec des gaffes, il fallait éviter les rochers qui coupaient les cordes, si l'accident arrivait tout était perdu et les radeliers risquaient la noyade.A Serres il y avait une gare pour les radeaux qui permettait de radouber quelques avaries. Elle se trouvait vers le jeu de boules actuel ( le nom de lac persiste ), quand tout marchait bien il fallait 30 heures pour arriver a Meyrargues.Les radeaux destinés à la marine allaient en Avignon , empruntaient le Rhône et, arrivés à la mer, les bateaux les prenaient en remorque jusqu'à leur destination.De vieux Serrois racontent qu'un radeau passant sous l'ancien pont de gendarmerie, les cordes furent coupées par le rocher, le radeau se disloqua, une pièce de bois se dressa au milieu du Buëch un radelier s'y accrocha, nous étions en hiver ,les gens de Serres ne pouvant leur porter secours allumèrent de grand feux sur les berges, touché par la chaleur le rescapé battit des mains. Un autre radelier fut noyé vers le terrain de sport, ou le buëch passait avant la construction de la digue.La Gare de Serres.Le 1er Février 1875, le train passa en gare de Serres. Ce fut un grand événement, une fête.Le chef de gare était regardé comme une sommité ; il y avait un sous-chef et deux hommes d'équipe, une véritable curiosité, les gens venaient de Rosans, de Montmorin, de L'Epine et de tous les environs.La promesse aux enfants de les emmener voir passer la grande jument noire qui traînait plusieurs voituressuffisait pour les faire tenir sages durant plusieurs semaines.C’étaient en effet les premières voitures "marchant sans chevaux".Pour les voyageurs quelle différence avec les lourdes diligences... Cependant pour aller â Gap il fallait deux jours il n'y avait pas de retour dans la journée).Toutefois il y avait une certaine méfiance à prendre le train. Se rendant à Gap chez sa fille, mon grand père déclarait tout net ! le train c'est une guillotine. En sept heures j'y vais à pied...Cet événement était le prélude d'une grande mutation, l'énergie mécanique allait désormais détrôner l'énergie animale. Ce fut le début de l'industrialisation.II fallut encore 80 ans pour détrôner le cheval...

400 ANS DE DISCORDE

Episode final après des siècles de litige entre les habitants de Montclus et ceux de l'Epine...
Conflit d’usages
Depuis 1228, les habitants de l’Epine jouissaient de droits très étendus sur plusieurs quartiers de la communauté de Montclus (Terrus, Blachinard,Cougoules, Les Fosses et Roulier). Certains de ces droits furent cédés plus tard à cette communauté pour obtenir d’être exonérée du péage d’une passerelle établie sur la Blême, dans la gorge. Mais les droits de pacage et bûcheronnage avaient été réservés, selon les termes d’un texte, «pour l’éternité». Ces usages furent fortement contestés par les habitants de Montclus et des incidents fréquents éclatèrent. Les habitants de l’Epine, à qui on contestait ces droits, portèrent plainte devant le Parlement de Grenoble et un arrêt de 1580 leur en confirma l’usage. Les habitants de Montclus, soutenus par leur puissant seigneur, intentèrent une action en 1686. Déboutés à nouveau, ils se mirent à défricher plus des trois quarts des terres de ces quartiers soumis aux droits d’usage, ce qui entraîna une plainte des épinois. En 1724, ils obtinrent des dommages et intérêts. Après la Révolution et la suppression des droits féodaux, Trophème, le propriétaire du domaine du Grand Terrus contesta ces droits auxquels les épinois –essentiellement les habitants du hameau de l’Eglise- opposaient toujours la coutume et l’usage. En 1842, Jean Antoine DUPOUX, meunier et Maire de Montclus, tentera d’obtenir un règlement amiable. Deux experts, Gontrant et Provensal, furent choisis par les deux communes en 1843 «dans le but de faire connaître d’une manière précise leurs propositions respectives». Dans leur rapport remis en 1846, ils concluent «qu’il convient de faire cesser ces droits d’usage invoqués par la commune de l’Epine, que les usages ont perdu ces droits par le défaut d’une possession régulière et légale le droit de conduire leur troupeau et de bûcheronner dans les bois et pâturages de Montclus». Mais le conseil municipal de Montclus constate en 1856 que «quelques habitants de l’Epine n’ont pas observé les décisions des experts, ont persisté à user de leurs prétendus droits et ont dû, à la demande deTrophème, être traduits devant le tribunal correctionnel qui leur a infligé les peines prévues par la loi.» Ces amendes ne découragèrent pas les contrevenants puisque, par décision du 29 Janvier 1888, le conseil municipal de Montclus, très conciliant mais pressé par Trophème, -qui est élu local- demande au Préfet l’autorisation d’ester en justice pour défendre ces droits d’usage. Il expose que «bien trop de querelles ont eu lieu entre les deux communes et que les habitants de l’Epine ont été constamment maintenus dans l’exercice de leurs droits d’usage, que la commune ne met aucun obstacle à leur exercice, mais qu’un seul propriétaire, Mr Trophème Aguste de Terrus prétend affranchir son domaine en faisant dresser des procès-verbaux aux habitants de l’Epine et empêcher le libre exercice de leurs droits. Considérant qu’il est de son devoir de sauvegarder les intérêts des propriétaires de la commune qui se trouvent menacés par les prétentions de leurs voisins, s’associe aux mesures prises par le sieur Trophème pour réprimer les délits commis par les habitants de l’Epine contre ses propriétés, que le Maire de Montclus a informé le Maire de l’Epine que le garde-champêtre avait reçu l’ordre de dresser procès-verbal.» Le tribunal civil de Gap nomma d’autres experts qui se rendirent sur les lieux mais qui ne déposèrent jamais leur rapport. En 1889 et 1890 deux jugements du tribunal civil de Gap mirent un terme à quatre siècles de litiges juridiques en confirmant la perte de ces droits d’usage des épinois.
Sources:Rapport d’expert et du conseil municipal de Montclus au Préfet en date du29 Janvier 1888Jugement rendu par le Tribunal civil de Gap en date du 5 Août 1890.
Archives Départementales.

L'EMPRUNT FORCE DE L'AN 4

En 1796, sous le DIRECTOIRE, pour tenter de faire face à une grave crise monétaire, on dut avoir recours à l'émission d'un emprunt forcé.

PATRONYME REYNAUD EN PAYS DU BUECH

Le nom de famille REYNAUD a deux vallées principales d'origine dans les Hautes Alpes: la vallée du Buëch et celle de l'Ubaye.Cette étude a pour but d'analyser la généalogie des differentes familles REYNAUD originaires de Sigottier qui était -au 17ème siècle- le foyer principal des REYNAUD de la vallée du Buëch.Elle est le résultat de dix années de recherches, mais elle est forcément incomplète en raison de manques dans les registres d'état-civil des communes avoisinantes, et parce que la généalogie de toutes les personnes vivantes portant ce patronyme n'a évidemment pas été faite systématiquement.Que le lecteur soit indulgent pour les inévitables fautes de lecture, retranscription, passage à l'informatique, qu'une telle étude peut comporter.C'est un condensé du livre "Généalogie des REYNAUD de Sigottier, mars 2005" faisant suite à "Histoire de la famille REYNAUD d'Aspremont/ Tuoux, décembre 1998" déposés à l'Association Généalogique 05, aux Archives Départementales et à la mairie de Sigottier.

OPUSCULE SUR MA VIE ET TRAVAUX (du meunier Jean-Antoine DUPOUX)

Ayant depuis longtemps les oreilles rebattues de cent niaiseries qu'on a débitées sur mon compte, relatives à ma conduite privée et aux dépenses et travaux que j'ai fait exécuterdepuis la mort de feu mon père jusqu'à ce jour, tant par des personnes absolument étrangères à mes intérêts que par ceux de ma propre famille, sans que ni les uns, ni les autres fussent fondées à dire quels motifs m'avaient fait agir de la sorte ou de tellemanière, ou déterminé à telle ou telle démarche, ignorant les uns et les autres la causedéterminante de mes projets et moyens et n'étant par conséquence pas mieux fondé à melouer qu'à me blâmer, j'ai donc pris le parti de mettre par écrit une esquisse de ma vie et de ma conduite. Je le fais, promettant dans la sincérité de mon coeur de ne dire que la purevérité, tant dans les articles qui me seront avantageux que dans ceux qui me seraient contraire, n'ayant rien à craindre pour les uns ni pour les autres, aucune censure pour que je sois entièrement libre de faire tout ce qu'il me ferait plaisir en me conformant à la loi, -seul être qu'il y eut dans cette circonstance au dessus de moi -, pouvant en un mot disposerde ma fortune de la manière que je l'entendais sans crainte d'aucun reproche. Mais malgrécet avantage, je crois n'avoir fait,- ma détermination une fois prise -, que ce que l'hommele plus sage aurait fait à ma place. Je prie ceux qui me seront l'honneur de vouloir bien remonter avec moi dans les époques qui sont la cause de mes différentes déterminations m'ayant forcé pour ainsi dire malgré moi à faire ou à ne pas faire telle ou telle chose quiaurait pu m'être avantageuse ou nuisible, à ne pas partir de l'état de mes travaux aujourd'hui. Car alors, ils ne sauraient rien du tout de ce qui est la vérité. Je suis né le 6 Août 1772, de l'union de feu Jean Dupoux, mon père, du lieu de Serres avecCatherine Marrou, ma chère mère aussi défunte, de la commune de La Piarre. Je fus ledernier fruit de leurs amours. Les neuf frères ou soeurs qui étaient nés avant moi m'avaienttous précédé au tombeau et je n'en ai jamais connu aucun, étant tous morts avant ma naissance. Il m'était donc malheureusement réservé de perpétuer une race qui semblait prête à s'éteindre et à donner naissance à un pareil nombre d'ingrats. Je grandis avec le temps.Mes parents, qui ne connaissaient ni lettre ni livre, s'occupèrent néanmoins de me faire donner, malgré leur attachement aux biens de ce monde, une espèce d'éducation alors enusage dans le pays. Elle consistait à faire apprendre à lire tant bien que mal un livre, àécrire de même quelques lignes et enfin, pour en finir, à faire quelques règles élémentaires d'arithmétique, jusqu'à la division. Celui qui une fois arrivé à ce point, était regardé comme un oracle par ses camarades. La durée de cette éducation était fort restreinte etgênée par la forme de gouvernement et de fanatisme sacerdotal qui a toujours craint avec raison les lumières de la science. Cette triste éducation ne coûtait pas moins, à l'école deSerres, que de cinq soles par mois à mon pauvre père tant que je n'écrivais pas. Mais unefois l'écriture, je fus mis à 6 soles. Notez que dans la saison froide, pour économiser le prix d'une charge de bois par mois, qui aurait coûté six autres soles, j'étais obligé d'apporter de la maison mon bois pour les deux classes, ce qui était fort facile à l'aide dedeux sarments de vigne, un pour chaque classe. Il fallait tous les jours faire la même manoeuvre. J'ai commencé à 6 ans environ et je n'ai fini mon terme scolaire qu'à quinze ou seize. A cet âge, je n'étais pas fort savant parce que j'avais été extrêmement lent à acquérir ces quelques connaissances d'un côté et bien peu aidé par mes maîtres de l'autre. Je puis dire sans flatterie à ma louange, que si par la suite je pris le dessus sur beaucoup de mes camarades qui avaient reçu la même éducation que moi, ce n'était qu'à force de peine et de soin que j'ai pris opiniâtrement pour m'instruire moi-même, ayant naturellement une passionpour l'étude et d'ailleurs une assez bonne mémoire, ne m'étant pas fait faute de bonne ouvrage où je pouvais puiser quelque chose d'avantageux pour terminer mon éducation et servir de règle à ma vie future. Arrivé à cette époque, il parait que les père et mère qui aiment sincèrement leurs enfants etqui souhaitent leur bonheur futur, pour peu qu'ils soient fortunés, devraient s'occuper de faire apprendre un état à leurs enfants pour leur être utile dans le cours de la vie, ne sachant pas à quoi le sort et la fortune le destinent et tâcher de les mettre à l'abri de leur inconstance qui ne sont que trop communes. Mes parents, eux, ne s'avisèrent jamais que de vils expédiants. En effet puisqu'ils ne voulaient pas pousser plus loin mon éducation et qu'il savaient quelque intention de faire construire un foulon, ils auraient pu m'envoyer passer un couple d'années à Vienne pour y apprendre l'état de teinturier. Cela aurait été autant d'épargner pour moi et ne fusse que pour m'ôter du libertinage. Ce serait été bien agir que de faire ainsi. Bien qu'ils en eussent les moyens possibles, ils ne me laissèrent d'autre état quecelui qu'ils avaient professé longtemps eux mêmes, c'est à dire celui de piocher la terre. Je ne parle pas de celui de meunier. Ils étaient dans l'impossibilité de me l'apprendre n'en connaissant par eux mêmes les premiers éléments et conduisant le tout au hasard et avec l'aide d'autres gens de l'art. Je ne disconviendrai pas que ce premier état ne fut bon en luimême,mais il ne valait rien pour moi. N'y étant pas été accoutumé de bonne heure d'ailleurs, je croyais fort naïvement qu'avec la petite fortune dont je pouvais hériter un jour, je pourrais m'en passer en me livrant à quelque autre expérimentation moins pénible, et autant honorable. Quoique cet état soit le premier et doive être respecté, comme tel, je fus par ce moyen, livré un assez long temps à moi même. N'ayant aucun moyen pour me fixer et m'occuper utilement, je me livrais donc à l'impulsion de mon âge et je suivis la fougue de mes passions sans égard à mon intérêt propre. Ne chercher qu'à me divertir avec d'autres camarades fut mon sort sans craindre d'un avenir malheureux. Fort heureux encore que hormis la dépense inutile que je peux avoir faite dans cette circonstance, cet état de chose n'ait produit sur moi rien de très funeste, ce de quoi je me féliciteCet âge, comme je viens de le dire, était l'âge des passions. Mais leur mesure n'est pas égale chez tous les individus. Il y en a chez qui elles peuvent avoir la plus fâcheuse influence etc'est précisément là que les parents doivent veiller pour en déranger le cours. Les miensétaient fort différents là- dessus, par crainte de m'affliger et de perdre en moi le seul espoirqu'il leur restait comme ils avaient perdu les neuf précédents. Mais quels qu'en fussent lemotif, je vivais en pleine liberté, fort heureux qu'elle n'ait pas dégénérée en licence.A l'âge de vingt ans, je me fis maître d'école. J'allais régent des enfants de L'Épine, quoiqueque je fus moi même encore enfant, étant un aveugle qui en conduisait d'autres. Cependantje m'en acquittai à la satisfaction publique, mieux que quiconque ne s'y était attendu, ni moinon plus. Peut-être étais-je affligé par des remords pour les mauvais traitements que mesparents m'avaient fait éprouver eux mêmes, ou ceux que mes maîtres d'écoles m'avaientinfligé par leurs cruelles recommandations, mais mal à propos. Dans le même intervalle, jedevins amoureux d'une jeune fille de ce pays et me voilà bien décidé à me marier si on veutme le permettre. J'étais loin de prévoir qu'un jour, sept ans plus tard, je serais bien fâché defaire pareille sottise. Mais, comme tout le monde sait que l'amour est aveugle et ne peut parce moyen prévoir si loin et ne trouvant pas mes gens disposés à condescendre à mesvolontés, je l'aima d'amour en attendant et quoi que je me sois félicité plus d'une fois de cebonheur, je ne sais comment cela s'est fait que notre union ne se soit pas consommée. Carnous nous aimions réciproquement et jamais rien n'a troublé un instant nos amitiés qui ontduré environ cinq ans. Mais à cette époque je pense que ses parents la forcèrent de prendreson parti, ce qu'elle fit d'ailleurs. Je tiens pour assuré que cela ne pouvait être autrement etqu'une fatalité aveugle dispose de nos destins, bon gré mal gré.Dans l'intervalle de nos plus fortes amours, le gouvernement qui venait d'être érigé enRépublique était assailli par toutes les puissances de l'Europe qui avaient eu envie derétablir le gouvernement royal. Il fallut qu'il fit un effort extraordinaire pour s'en défendre etempêcher l'invasion des armées ennemies sur le territoire français. Il fit donc pour parer àcet inconvénient, la fameuse levée de tous les jeunes gens non mariés avant le 23 août 1799depuis 18 ans complétés jusqu'à 25 aussi complétés, ce qui produisit dans 24 heures unelevée de 1800 mille hommes. Je fis par conséquent partie de cette levée. A cette époque iln'y avait nul moyen de dispense et on a vu jusqu'à trois frères de la même maison en fairepartie et être obligé de se rendre aux armées au jour arrêté par l'administrationdépartementale.Tous les jeunes gens de cette classe se réunirent à Serres, chef lieu de district, qui constituaitalors une sous-préfecture dont la ville de Gap nous a depuis privée. Un commissaire envoyépar elle s'y était rendu pour y organiser le bataillon du district. J'eus l'honneur, ce jour-là, -et sans l'avoir tenté par quelques cabales ni sollicitations, comme tant d'autres le firent,-d'être nommé, en mon absence et à l'unanimité, capitaine de la compagnie N°4 du cantonde Serres. L'usage était alors de désigner le capitaine au scrutin du suffrage. Ici commencepour moi un changement d'existence et des maux et travers qui en ont été les suites et quipeuvent avoir influencés beaucoup ma vie privée. Cette décision m'a bien plus nui que lasuppression de la banalité ou le remboursement des capitaux en papier et m'a gêné au pointde ne savoir à quel saint me vouer. Elle a contrarié toute mon existence et a fini par merendre malheureux en me forçant à faire ce que je ne voulais pas et même ce qui étaitcontraire à mes désirs. C'est pourquoi lui attribué je tous mes malheurs.Tous les nouveaux bataillons devaient rester organisés tels qu'ils l'avaient été. Mais legouvernement s'étant aperçu que dans les anciens cadres de troupe il manquait beaucoup desoldats et qu'il y avait des officiers de reste, il s'avisa de compléter les cadres avec lesnouveaux bataillons qu'on venait de former et on en dissémina une compagnie d'un côté,une compagnie de l'autre. La mienne fut envoyée dans les Basses-Alpes pour allercompléter les bataillons qui se trouvaient dans la montagne du Piémont. A cet effet nouspartîmes de Serres le 2 Février 1794 et nous allâmes directement dans un petit villageappelé St Benoît près d'Entrevaux où nous restâmes stationnés pendant 28 jours. C'est alorsque le Général Serrurier trouva à propos de nous faire descendre au Puget le long du valjusqu'au premier pays piémontais pour y être encadré et mettre nos épaulettes dans le sac.Ce changement opéra un bouleversement général et paralysa plus de moitié tout le courageet les bonnes volontés que nous avions de défendre notre patrie. Nous ne fûmes plus lesmêmes lorsque nous nous vîmes séparés et mêlés à des étrangers que nous ne connaissionsd'aucune façon. J'en fus personnellement très affecté car quoi qu'enfant unique, j'étaisextrêmement attaché à ma destinée nouvelle, vu que je la tenais de l'amitié et de laconfiance de mes camarades. Et bien sûr, je ne m'attendais pas, lors de ma nomination d'enêtre privé si tôt, aussi cherchais-je à me délivrer bientôt d'un état qui pour des raisonsdécrites ci-devant, me paraissait odieux. L'humeur et l'amour-propre s'en étaient mêlés. Iln'en fallut pas plus pour me dégoûter de l'état militaire. Aussi, je m'occupais à découvrirquelque moyen pour en sortir.Mon père avait été beaucoup affecté par mon départ, quoiqu'il en fût la principale cause,n'ayant pas voulu consentir à mon mariage. Il s'occupait de son côté de la même oeuvre, etil le fit même avec fruit, car il obtint du gouvernement qu'il me serait permis de me rendreà Serres pour y travailler à l'atelier de salpêtre qu'on avait établi dans la maison Clier,aujourd'hui Ilette, ce qui servait provisoirement d'exemption. A cet effet, je partis d'Isola,en pays piémontais à trois jours de marche d'Entrevaux, à la fin juillet de la même annéepour me rendre chez moi, mais très malade. J'arrivais le 6 août au soir, jour de manaissance, n'ayant pu trouver depuis mon départ, même en bien payant, aucune monturepour me porter. Ce fut pour mes parents et pour moi comme une nouvelle naissance. Jepassais encore quelques jours malade sans médecine, ni apothicaire, mais dès lors que jemangeais du raisin, ma santé revint. Bientôt je fus complètement rétabli à la Toussaintsuivante et en état d'aller travailler à l'atelier que l'on me destinait et où je travaillaispresque continuellement pendant trois ans. Je n'ai pu m'y maintenir qu'à force deprotection et de fortes dépenses, vu les jaloux qui étaient fâchés de me voir en quelquefaçon tranquille, tandis que leurs enfants essuyaient les fatigues de la guerre. Celui qui n'ajamais été ainsi traité, aura bien de la peine à se faire une idée de ce qu'il m'en aura coûtépour me maintenir dans un indigne atelier de salpêtre. Car dès l'an suivant, on m'invectivade toutes les manières pour m'obliger à repartir pour aller rejoindre mon corps. De moncôté, je n'oubliais rien pour mettre toutes ces tentatives de mes ennemis en défaut. Je fusobligé d'aller à Grenoble m'en ouvrir auprès de Réal, Représentant du Peuple. Celui-ciavait été envoyé en mission dans les départements du Mont Blanc, aujourd'hui Savoie, del'Isère et des Hautes Alpes. Je lui portais moi-même mes papiers et la commission deMiellou, le chef de l'atelier, afin d'obtenir la continuité de mon travail. J'eus le bonheur deréussir, mais mes ennemis eurent vent de l'aide de mon chef d'atelier. Au lieu d'aller àmon corps comme je l'avais fait entendre, j'avais été à Grenoble faire tomber le sort surleur fils désigné comme garde national et qu'on devait envoyer à Briançon . Mais dansl'intervalle, alors que j'étais à Grenoble où il me fallait séjourner quelques jours pourattendre le représentant du peuple qui était à Chambéry, j'eus la douleur, en arrivant àSerres, d'apprendre que celui qui avait voulu se rendre utile pour moi et me favoriser étaitlui même dans la peine. Effectivement pour échapper à l'indignation, ils étaient partis tousdeux - le père et le fils - le même matin pour se rendre à Avignon avec deux charges desalpêtre - pour y apprendre d'ailleurs que la raffinerie avait été transférée à Marseille- et yprendre de nouveaux.D'après la réception peu obligeante que me fit la femme Miellou à mon arrivée, je pris leparti de me rendre moi-même à Avignon pour rassurer ces gens et leur montrer combiennous étions en règle les uns et les autres malgré la méchanceté de nos ennemis. J'yparvenais aussitôt qu'eux, car ils venaient à peine de décharger le salpêtre lorsquej'arrivais, ce qui les surprit très fort et nous revinrent ensemble. Il est inutile de dire quetous les frais de voyage y compris ceux de Grenoble furent à ma charge. Depuis lors mesennemis, voyant que leurs embûches contre moi n'aboutissaient en rien, me laissèrentbeaucoup plus tranquille, mais malgré ce calme, je ne discontinuais pas de travailler àmon ordinaire.Au commencement de ma troisième année de service, mon pauvre père, âgé depuisquelques jours de 79 ans, mourut le 2 Février 1796. J'avais pour lors 23 ans et demi, etquoi que je craignais moins, j'étais toujours sous le glaive de la loi et l'on pouvait fort bienme rappeler d'un moment à l'autre. J'aurais pu être dispensé de ces poursuites en profitantde la faveur que donnait le mariage qu'on contractait avec de vieilles femmes et dontbeaucoup de mes camarades avaient profité. Mais je méprisais trop de pareils moyens quin'étaient pas de mon goût et j'aimais mieux courir le risque.Aussitôt après la mort de mon pauvre père, je mis tout son patrimoine en vente, ayant pourdessein, si je pouvais réussir, de réparer l'omission que mon père et ma mère avaient faiten ne poussant pas plus loin mon éducation. Faute impardonnable, vu qu'ils en avaient lesmoyens et qu'ils n'avaient été retenus que par leur mesquinerie ou par le sot préjugé selonlequel ils ne voulaient pas qu'il fût dit que leur fils fît dans le monde, une autre parade quecelle qu'ils avaient faite. Mais je ne trouvais jamais à me débarrasser des moulins. Le reste futbientôt enlevé, du moins ce que je voulus en céder. Mais les moulins avaient contre euxl'époque toute fraîche de la Révolution et les acquéreurs craignaient d'être expulsés dès lepremier jour et écrasés par les anciens propriétaires et leur agent perdu. Aussi, je n'avançaisen rien. En outre tout était dans un grand état d'abandon. La banalité avait été supprimée. Dece fait, peu de personnes étaient soucieuses d'en faire l'acquisition. Alors je me déterminai,comme malgré moi, à faire valoir le seul espoir qu'il me restait, qui était celui de les faireréparer et d'y ajouter ce que je pouvais pour m'indemniser de la perte que m'avait faitéprouver la Révolution en anéantissant la banalité des moulins et en autorisant tout le monde àen construire de nouveau. Je commençais donc ce fameux travail qui allait durer 30 ans du faitde diverses circonstances, que ni moi, ni d'autres plus habiles étions loin de prévoir.Je mis la main à l'oeuvre au mois de mai 1796 et je fis dans le courant de cette campagne lachambre première au levant, de bas en haut et la partie qui sert d'écurie depuis la ported'entrée de la boutique au midi et couchant jusqu'à l'escalier, aussi de bas en haut. La chambreau couchant, avant le bâtiment n'allait pas plus loin et était coupé par un tour d'équerre et il nese faisait que du fumier dans le vide. La grande porte du moulin était à la place actuelle de lapetite armoire et de là on entrait dans l'appartement de la boutique actuelle et c'est là ouétaient les deux moulins à farine. Feu mon pauvre père avait, en 1775, fait arranger lachambre du milieu, telle qu'on la voit encore aujourd'hui et je n'ai fait qu'en réparer leplancher qui était en fort mauvais état et fait à neuf, de bas en haut, le mur du côté nord quifait face au moulin actuel depuis l'aile du colombier jusqu'à la muraille de la premièrechambre. En 1810 le corps de bâtiment eut la figure qu'il a actuellement, le toit était à deuxpentes. Ayant terminé par rendre habitable le corps de bâtiment par l'addition de deuxchambres, je m'occupais de la construction d'un foulon et d'une teinturerie de la laine.J'achetais à cet effet le bois nécessaire de M Raymond de Ribiers, qui avait acquis laseigneurie de Montrond de Monsieur d'Agout, son ancien seigneur. Je le fis transporter surplace à grands frais vu l'incommodité du chemin d'alors. J'étais obligé de passer par le Béal ditdédale, enfiler les graviers du Buëch jusqu'à la Blème et de là jusqu'à la maison. L'arbre de lacoupe du foulon me coûta plus de 150 Frs perte et le reste en proportion. J'engageais lemenuisier Delaud de St Genis, un excellent ouvrier, à venir confectionner mes travaux, nonseulement le foulon, la presse aux étoffes, mais encore les coursives ou chenaux du moulinqui restaient, en ayant vendu un à Martin du Champ du Meunier. Le rouet , le chenal et lerouet à gruau, ainsi que les bâtiments étaient hors d'usage et dans le dernier des états. Delaudvint à ma prière et travailla dix huit mois presque continuellement à la maison pour mener àbien les différents travaux que j'avais à faire faire. Peu après et toujours dans l'intentiond'augmenter mes produits, je devais réparer la brèche faite à ma fortune tant par lasuppression de la banalité que par le remboursement des capitaux qui étaient à feu mon pèreet qui lui furent impitoyablement remboursés en assignats, cette espèce de papier monnaie quele gouvernement avait été obligé de faire pour maintenir les finances et payer les biens duclergé et des seigneurs émigrés qu'on avait vendu et qu'on était forcé de prendre pour savaleur nominale et encore par ce que m'avait coûté mon état militaire de salpêtrier. Je meproposais, dis-je, d'ajouter encore un pressoir à huile mu par l'eau au moyen d'engrenages.J'allais à Ste Euphémie en lever le plan et prendre les notes nécessaires pour le faireconfectionner et deux ans après, le foulon fut construit, par Bontoux de Rosans et son beaufrère Alméras Defère. Cet article qui était très bon à cette époque, ne l'est plus depuis qu'on apris ici l'usage de vendre les noix en coquille et de ne plus faire presser leur huile. Comme enpeu de temps les choses changent, on se trouve dupé des dépenses qu'on a fait à ce sujet.Lorsque tout semblait terminé, il m'apparaissait que je n'avais plus qu'à faire valoir mes bienset jouir en paix. Mais le ciel en avait décidé autrement et mille calamités devaient fondre surmoi. Ici, je suis obligé de rétrograder dans mon récit et de reprendre mon récit de plus hautpour mettre le lecteur au courant de bien des choses qu'il ignore et qui n'en sont pas moinsdécisives, lesquelles ont singulièrement influé sur ma conduite à venir et sur ma destinée. Unedes principales causes est celle ci. Feu mon père avait été élevé à côté du malheur et de lamisère pour avoir perdu son père en bas âge. Il avait été obligé de faire le guide d'aveuglepour avoir un peu de pain, étant aîné des quatre enfants avec peu de moyens, et une mère sansavoir. Il se souvenait de cet ancien état et craignait d'y retomber. Aussi, il était extrêmementattaché aux biens de ce monde, attachement qui le poussait jusqu'à la mesquinerie tellementque bien souvent il se privait de choses dont il aurait eu grand besoin pour ne pas dépenser unsol et sa façon de penser et de faire était parfaitement conforme à celle de ma pauvre mère quiavait à quelque chose près la même maladie. Avec une telle conduite, n'étant pas chargéed'aucune famille puisque leurs enfants mourraient au fur et à mesure de leur naissance, ils nepouvaient éviter d'amasser, à force d'épargner, quelque argent.Car il faut bien noter qu'avant la Révolution de 1789, le moulin de Montclus donnait un bonproduit, parce que dépendant du revenu des habitants du pays qui ne pouvaient aller moudreailleurs. Il passait alors des hivers plus rigoureux qu'à présent et il arrivait souvent que Serreset les autres pays circonvoisins, tels que L'Epine, Ribeyret, Savournon, Le Bersac, Méreuilétaient obligés de venir faire leur moulure à Montclus, rapport aux eaux douces qui s'ytrouvent. Serres, surtout était souvent obligé d'y venir parce que le gravier était si fort élevéque pour peu que le Buëch augmentait, les rouets trempaient dans l'eau et faisaient suspendrele travail, le canal n'étant pas voûté. Mais il n'en est plus ainsi depuis la construction desdigues en 1783 l'eau a extrêmement creusé et il n'a plus passé d'hiver aussi rigoureux. Celan'empêchait pas que pendant l'été, d'aucuns fussent obligés d'y revenir, rapport à lasécheresse. Avec tous les produits joints aux petits revenus de leurs biens, mes parentsfaisaient donc une somme avant la fin de l'année et c'était autant de disponible pour placeravec intérêt. Il aurait bien mieux valu qu'ils eussent employé - primo - à se procurer ce qu'illeur était utile dans la maison ou meubles, effets indispensables dont il n'avait aucun, et quemoi je fus obligé de me procurer à grands frais, et - secundo - à placer le reste en quelquebonne propriété qui leur aurait conservé leur argent, produit de leur épargne et sueur. Maismon père était loin de prévoir ce qui devait leur arriver. Il préférait le placer à intérêt maiscomme je l'ai dit ci-devant. Le tout leur fut remboursé impitoyablement en papier, tant intérêtque capital, dont il était du de plusieurs années et n'ayant pris aucune mesure pour faireemploi de ce papier tout a été perdu sans miséricorde. Tout ce que j'ai pu sauver du naufrage aété le montant de 95 quintaux de sel que j'achetais malgré eux d'Arnaux Delepierre à 80 fr. lequintal et que je vendis après que les assignats n'eurent plus cours, 9 fr. argent septantequintaux seulement ayant gardé le reste pour l'usage de la maison. Le reste de ceremboursement fut donné pour satisfaire à l'emprunt forcé que le gouvernement avait obligéde faire et dont nous dûmes cotiser pour 6000 fr. Voici la manière dont la fortune de monpauvre père s'évanouit et comment il me laissa aussi pauvre qu'il avait commencé à peu près,jadis. Car dès le début, feu ma pauvre mère avait encore à sa disposition environ 3000 fr.argent dont l'emploi sera précisé ci-après. Si on avait sacrifié une partie de cette sommeperdue pour me faire instruire, j'aurais pu mieux employer mon temps que je ne l'avais fait etme procurer un heureux avenir. Mais il n'était pas écrit ainsi, aussi j'ai gardé en murmurant etsupporte patiemment ma fatale destinée. Car à quoi bon se troubler l'esprit de misèressemblables.Avant d'aller plus loin, il me semble que puisque j'ai parlé de la mort de mon père je doiséclaircir ici une chose qui a couru dans le monde à son sujet et dont le bruit est parvenujusqu'à l'oreille de mes enfants, femme et autres et dont on n'a pas craint de m'en faire laconfidence et de me peiner et d'ajouter foi bien mal à propos. Il s'agit d'une prétendue fortunequ'on disait que mon père m'avait laissé à son décès en argent monnayé. Mais rien de plusfaux que celà. Il aurait pu le faire s'il n'avait pas prêté comme il a été dit. Mais ayant pris leparti de déduire ce qu'il avait laissé à ma mère, il ne m'a laissé qu'une pièce de 6 fr.. Véritéqu'on peut regarder comme si elle sortait de la bouche d'un mourant et que je voudrais qu'ilm'en fut puni bien cruellement s'il en était autrement. Quoique je soupçonnasse que ma mèreeusse quelque chose, je me serais bien gardé de le lui demander. Sachant trop qu'il fallut faireenregistrer son testament et acquitter les droits de succession, je fus obligé de vendre un peude blé qu'il y avait au grenier, n'ayant par devers moi qu'une pièce de 30 sols et pour acquitterles frais de balise que je fis incessamment. Je me servis du montant des propriétés que j'avaisvendu à divers particuliers et dont on m'avait donné quelque acompte ainsi de ma terre, jefanais le foin, voilà tout.Ceux qui me liront seront curieux de savoir comment je me suis arrangé avec mon atelier desalpêtre et de quelle manière je lui ai dit adieu aussi bien qu'à l'état militaire. Je vais de suiteleur donner tous les éclaircissements nécessaires. Toutes les démarches que j'avais faitattestaient que ma présence étant utile. Je mis un homme à me remplacer que je payais demon argent, quoi que je ne retirasse pas un centime de travail, au contraire puisque j'étaisencore obligé de me nourrir à mes frais quand j'allais en personne. Une fois la bâtisseterminée et le foulon fait, les outils de teinture placés, j'aurais pu aller reprendre du service etpeut être c'est cette sottise de plus que je fis de n'avoir pu agir ainsi, affermer le tout, mettrema mère dans une chambre à Serres, lui laisser un revenu pour vivre et moi aller courir machance de crever sous le harnais ou de parvenir. Mais j'étais seul, n'ayant de famille qu'unemère âgée sans secours à laquelle la nature m'obligeait de prodiguer tous mes soins. Cesraisons me déterminèrent d'en agir autrement.J'avais pensé de réaliser ce qui me restait de fortune et si ma mère avait voulu consentir à melivrer ce qu'elle avait entre les mains, placé l'un et l'autre à intérêt sous bonne hypothèque etde ce revenu joint à la rente qu'aurait donné le moulin , les autres usines et le fonds deBoullier qui était le seul qui me restait, aller passer quelques années à Grenoble pourm'instruire dans une partie pour laquelle je paraissais avoir quelque aptitude et de parvenir àexercer la profession où d'avoué ou de notaire. Mais j'ai été entravé dans toutes mesintentions. Comme je n'étais pas libéré des charges militaires, je ne pouvais aller nulle partsans courir le risque d'être arrêté plus ou moins tard d'ailleurs encore tout effrayé desremboursements qui venaient d'être faits en craignant de courir de nouveaux malheurs jen'osais prendre le parti. D'ailleurs ma mère ne s'entendait nullement à celà, c'est à dire àremettre ce qu'elle avait à sa disposition. Aussi fallut-il renoncer à ce projet. Mais quel partiprendre?. Je suis dans l'incertitude si je dois affermer, rester jeune homme et travailler encorequelques temps au salpêtre en attendant un meilleur avenir ou bien me marier et faire valoirmoi-même mes usines. Ce dernier parti était appuyé de tous ceux qui se disaient mes amis.D'autant que c'était le seul parti pour me mettre à l'abri de poursuites militaires. Aussi medéterminais-je à me marier. Mais plus tard j'ai eu tout le temps de m'en repentir. Je note cettefaute comme des plus majeures que j'ai faite et dont un grand nombre d'autres ont découlé. Jele dis comme le bon musulman: « c'était écrit et cela devait arriver ainsi »Avant cette époque et avant mon mariage, madame Brave née Jacques ayant quitté Serresdans la crainte d'être mal vue, attendue qu'elle s'était un peu trop montée pendant le temps dela Terreur et voulant aller habiter chez son mari à Chaparillan, mit en vente tout le bien qu'ilpossédait à Serres et qui était fort considérable étant l'une des plus grosses fortunes. Jeproposais à ma mère d'acheter la vigne de St Jean et le pré dit de Julien en tête du pré deBlême possédé par Grimaud vu que c'étaient des propriétés à notre portée. Elle y consentitmais à une condition singulière qu'elle me donnerait 600 fr de largesse qu'elle avait et qu'ellepayerait les 200 fr. que je devais au menuisier Delaup à la condition que je voulus laisser toutsur sa tête craignant, disait-elle, que si j'étais obligé de partir ou que je vinsse subitement àmourir, une parente ne l'ait mise à la porte. Il fallut en passer par là et le marché se fitainsi. Et moi je fus obligé de fournir, du bien des propriétés que j'avais vendues, les 4400Fr. que se monta en achat, plus les frais d'acte et d'enregistrement.Je me suis donc marié le 29 janvier 1799, an 7 de la République. Je retirais 600 fr. de dotde mon épouse et j'en employais 100 à l'orner. Le foulon depuis longtemps, était fait. Maisfaute de détermination tout était en repos et ne servait à rien. Quand les gens surent que jevoulais tout de bon le faire valoir, ils m'apportèrent leurs étoffes et il m'en vint de touscotés. N'étant pas au courant de le mettre en train moi-même, j'écrivis à Benoît Doux deSte Euphémie pour qu'il eusse la bonté, en payant, de venir organiser la besogne. Aprèsm'avoir fait assez attendre, il se détermina à se rendre à ma prière et le 15 mai, jour de lafoire à Rosans, il vint et le lendemain 16, nous mîrent le foulon en train. Il demeura, avecson petit-fils qu'il avait amené avec lui à la maison pour me montrer, une vingtaine dejours. Lorsque j'eus une certaine quantité d'étoffes de foulées, il aurait fallu en teindre unepartie, mais je ne savais pas et Doux s'en était allé. Je m'adressais à Louis Rey de Serresqui faisait cet état. Il me promit de le faire et même d'une manière que chacun gagnerait savie. Mais sa conduite à mon égard me prouva qu'il entendait gagner la sienne sans trop sesoucier de la mienne, puisqu'il me faisait payer la teinture bien plus qu'il faisait payer chezlui et davantage que tous les autres ne faisaient payer la teinture et le foulage compris.C'est ce qui me détermina à prendre chez moi un ouvrier teinturier qui fit mon travail etme montra en même temps la manière de procéder.L'occasion s'en présenta bientôt car étant à la foire d'Aspres du 24 juin, Brunet, pèreteinturier de Valdrôme, chercha après moi une partie du jour pour m'informer que depuisun an il avait un teinturier ambulant chez lui, brave homme et bon ouvrier qui était sur lepoint de le quitter et qu'il viendrait chez moi si cela entrait dans mes arrangements. Jamaischose ne put arriver tant à propos. Je le remerciais et promis d'aller le voir à Valdromesous peu. Effectivement j'y fus dans quelques jours et nous convîmes d'un prix de sesgages qu'il me fit payer assez cher vu que j'en avais grand besoin, mais je ne regardais pasde si près. Nous fumes d'accord à 450 fr. par an rien que pour la teinture, ne connaissantrien au foulage et la table qu'il lui fallait bonne, car il était très gourmand, rapport à cettedernière qualité. Je le renvoyais sitôt son année de service expirée et je fis marché avec unautre que le même Brunet me pourvut. C'était un jeune homme teinturier de la ville d'Albi,dans le Tarn, assez bon ouvrier et sachant même mener le foulon, mais d'allure trèssuspecte. C'est pour cause que je ne le gardais que 4 mois à 28 Fr. le mois et la table.Depuis lors je fis mon petit ouvrage seul le mieux que je pus. Je porte donc toute ladépense réunie d'apprentissage du foulage ou de la teinture au minimum à 1500 fr. Mais ils'élève plus haut si on y joint les gages, étrennes, dépenses d'auberge, nourriture,blanchissage, etc. Il faut noter qu'à cette époque les denrées étaient toutes à un prixexcessif D'aucun de mon état qui ont été plus heureux que moi, ont appris le métier qui neleur a rien coûté ou bien peu. Mais moi j'ai toujours bien payé et je ne compte pas le prixde divers ouvrages que je me suis procuré bien chèrement pour me perfectionner dans cetart, ni des passages que, par intervalle, j'avais de quelques ouvriers ambulants qui sousprétexte de me laisser quelques recettes venaient attrapper un dîner, un souper et quelquespièces de 6 Fr. Nonobstant toute la dépense, je ne suis pas devenu un fameux ouvrier.Mais à qui le tort, quand on est déjà âgé et qu'on a mille choses à soigner. On ne peut pasprofiter comme quand on est jeune.Après toutes ces dépenses mon affaire allait assez bien, l'ouvrage abondait de tous côtés.En effet, quoique j'ai entrepris de faire, la pratique était venue en foule chez moi du foulonà la teinture, de la pressure de l'huile à la fabrique de toute la région. Je tâchais de fairemon possible pour contenter les uns et les autres. Le numéraire n'était pas aussi rarequ'aujourd'hui. Les gens payaient mieux les denrées de toute espèce. Je vendis bien. Jefaisais des profits honnêtes et tout semblait me promettre un avenir heureux. Ma famillecroissait d'un jour à l'autre. Tout me riait. Mais cet état de bonheur dura peu et puisqu'il étaitécrit que je devais de traverser les ennuis de toute espèce, il fallait que tout s'accomplît.Depuis longtemps même bien avant la Révolution, on avait projeté d'ouvrir la fameuse route,qu'aujourd'hui on dénomme « route royale de Briançon à Pont St Esprit ». Mais ce projet avaittoujours était suspendu. Napoléon ne sévit pas plutôt à la tête du gouvernement, qu'il donnaun essor extraordinaire à ces différents travaux d'ouverture de routes, ponts de toute espèce,canaux de navigation, forteresses et toutes les grandes choses qui étaient de son ressort. Parconséquence la route que je viens de citer fût du nombre.Je ne sais pas encore si cet ouvrage a procuré ou procurera pour l'avenir ( n'étant pas encoreterminé) quelque bien à ceux qui se trouvent sur sa ligne. Mais je sais pour mon compte qu'ilme fit un mal que je ne réparerai jamais. Il m'est impossible de bien préciser tout le tort quecette route m'a porté, puisqu'elle a traversé tous mes projets et m'a empêché de gagner ce quej'aurais gagné si elle n'avait pas eu lieu, et de ce qu'elle m'a fait dépenser. Autant que je merappelle on entreprit son ouverture au commencement du siècle en 1803, L'excavation qu'onfut obligé de faire depuis le pont abrial jusqu'au ravin dit de La Mollière dans le roc fournit undécombre effroyable auquel il faut ajouter tout le rébus de pierres extraites pour les deuxponts dont l'un a été fini et l'autre à moitié. Et il était tel que le lit de la rivière était comblepresque à niveau du chemin dans cette partie; ensuite depuis en delà de Montclus jusqu' auquartier dit la Mollière par intervalle, là ou le roc dominait, il en était ainsi partout, ce quimenaçait du plus grand péril ceux qui, comme moi, étaient un peu trop voisin du torrent deBlême. Ce que je craignais ne tarda pas à arriver car le 23 Juillet 1808, -jour d'exécrablemémoire. Sur les 3 heures du soir, une trombe affreuse d'eau tomba avec une impétuositéeffroyable sur les terroirs de l'Épine et de Montclus, laquelle fit enfler à un pointextraordinaire l'eau du torrent. Tellement que moi étant à la fenêtre qui est au couchant etdonne sur le jardin, je prenais l'eau avec ma main sans autre secours et je me fus perdu ainsique ma famille si je ne m'étais barricadé d'autant fort que j'avais pu. Grâce à cette dispositionil n'entra que d'eau dans les plein pied autrement il se ferait empli de blocs et pierrailles. Bienm'en prit d'avoir fait bâtir et réparer les murs des bâtiments et l'avoir fait appuyer sur la fermeIl fallait descendre la garde car, dans l'état qu'il était avant, le souffle de l'eau eut tout emportéet j'en fus quitte pour être enterré dans les décombres jusqu'aux fenêtres du coté de midi.Après que l'eau fut écoulée, j'otais du dedans le four un pied de limon - et au devant de laporte de l'écurie, qui était la seule qui existait pour sortir de la maison, l'eau y avait entrainédes blocs que 4 chevaux n'auraient pu trainer sur une charrette. Les amas de pierrailles en cetendroit furent dus en bonne partie à une grosse pierre qui se trouvait là où est maintenant lechenal d'arrosage et avançait du coté de la maison de plus de trois toises. Elle était de lahauteur du terrier du côté de la Blache, si forte enfin que son exploitation tant en poudre ou enpaiement de journées, - non compris la nourriture des ouvriers - me coûta 800 Fr. Fortheureusement j'avais fait enlever un autre bloc qui était sa moitié et j'en avais fait faire unedigue du côté de la maison. Elle fut enlevée par le flot sans qu'il en resta une seule pierre,mais sans laquelle la maison ne pouvait être évitée d'être emportée, attendu que cette pierreforcait le torrent qui était sur sa ligne à faire un tour d'équère du côté de la maison. Les grosblocs qui arrivèrent arrachèrent et insensiblement des uns aux autres, ils s'élevèrent au pointque le lit du torrent qui fut comblé et empli jusqu'au gouffe de dessous la fontaine. Il ne restapresque rien de mon ancien barrage. La terre glaise que j'avais fait battre sur le derrière pourétancher l'eau qui se perdait et qui m'avait coûté beaucoup, fut toute enlevée. De tous les mursqui soutenaient le canal jusqu'au pont, il n'y resta pas une seule pierre en place. La maison setrouva engravée par l'eau des usines sans issue.C'est là qu'il me fallut faire un effort extraordinaire de dépense de toute espèce. Le lendemaindimanche je me mis en devoir d'amasser les gens pour venir m'aider. Je fus secondé par labonne volonté de manoeuvres car, malgré le travail de la route et celui des moissons, j'enrassemblai de trente à trente cinq tant mineurs que maçons et autres manoeuvres. Je menaismon travail avec tant d'activité que dans 20 jours deux des usines purent tourner et gagnerquelque chose pour aider aux dépenses. Mais le travail était loin d'être terminé. Il ne le futentièrement que longtemps après, mais comme le reste était moins pressant, je remis à le faireun peu plus à mon aise et d'année en année et ne l'ai parfaitement terminé qu'en 1818.Et une fois terminée, voilà la dépense que m'a occasionné cette maudite route où pour ce queje viens de décrire ou pour faire le mur au dessus de l'écluse. Si les ingénieurs eussent été desgens justes, ils auraient fait faire, au compte du gouvernement, et le pont que j'ai été obligé dedéblayer sur le torrent de la Bouisse qui m'avait détruit celui qui y existait avant ou lenouveau barrage que j'ai été forcé de faire à la prise du moulin, perdant une bonne partie del'eau de la Chaumane des usines pendant le temps qu'il fallait employer pour donner issue àd'eau, fonder le mur de l'écluse, bâtir l'aqueduc du pont, travaux qui se sont tous fait dans untemps où j'aurais pu gagné quelque chose , les denrées étant très chères. Ajouter à cela quependant plusieurs années depuis qu'on m'avait détruit mon pont aqueduc établi sur le ravin dela Bouisse pour y faire en place un fer à cheval qui a régné jusqu'en 1836, l'eau du ravinentraînait du gravier qui en se précipitant tombait dans le canal du moulin qui était au pied etj'atteste que jusqu'en 1818 et de là était entraîné par l'eau du canal dans l'écluse, ce qui medonnait un travail très souvent de 60 à 80 journées pour enlever avec des brouettes. Etajoutons encore le sacrifice que je fus obligé de faire d'un coin de jardin de 60 toises pourremplacer le terrain qu'on m'avait pris pour la route ou l'emplacement du mur. Toutes ceschoses réunies, dis-je et quelques autres que je peux avoir oubliées, se montent d'après moncompte en argent déboursé, non compris la nourriture, à plus de 6000 fr. Et pour touteindemnité j'ai reçu en une fois la modique somme de 963 Fr. 69 centimes. J'ai passé soussilence les peines qu'il m'a donné personnellement, que plus d'une fois j'ai failli être écrasé ouestropié pour avoir déplacé les grosses pierres, ni les ruches à miel qui me furent perdues.Beaucoup de gens m'ont blâmé d'avoir tant dépensé d'argent pour réparer, disant qu'il valaitmieux abandonner et me déplacer ailleurs avec les débris de fortune qu'il me restait que desacrifier une aussi forte somme d'argent tout en restant exposé au même risque. Mais dans lecas que devenir? Qu'entreprendre? Aller se placer ailleurs avec le peu qu'il me restait, avec leregret d'abandonner tant de choses déjà faites, toutes en bon état ou parce qu'attaché au sol quim'a vu naitre? Que de question à résoudre !.Enfin devais-je me risquer d'aller peut être dévorer le peu qui me restait encore en prenantquelque ferme et en travaillant comme un malheureux pour faire valoir le bien d'autrui ? Il nem'étais plus permis de tenter de construire mieux de nouvelles usines et je ne pouvais enacheter avec ce que j'avais qui fussent en mesure de fournir mes besoins et ceux de ma famillequi augmentait d'année en année, ni de faire valoir un domaine foncier qui était peu élevé. Jeme déterminai donc, après toute réflexion faite, à réparer et résister opiniâtrement aux coupsdu sort, à tout risquer et je ne voyais pas ce que j'avais à gagner en suivant le conseil de ceuxqui pensaient autrement. Mais je sais bien ce que j'aurais perdu. Ma pauvre mère me secondabeaucoup dans cette dernière résolution et m'encouragea en me faisant rémission du peud'argent qu'elle pouvait avoir à sa disposition, lequel, malgré le besoin que j'en avais, je meserais bien gardé de lui demander. Mais elle me permit en me disant:- Tiens voilà tout ce que j'ai, sers-toi; il vaut mieux se servir du sien que de celui d'autrui. "En effet à cette époque j'avais peu d'argent. J'aurais nécessairement été forcé pour faire face àmes affaires de vendre ou d'emprunter, si j'avais trouvé et environ 2000 fr qu'elle me me remitme mit dans la situation de pouvoir en gagner d'autres.Mes travaux ont été une suite ininterrompue, nécessitée en partie par les circonstancessemblables à une chaîne composée de plusieurs anneaux. Pour mieux dire ma vie n'a été qu'uncombat, comme le dit Beaumarchais, quelque part de ses ouvrages. Après avoir réparé le pluspressant, comme je l'ai dit plus haut, je fus obligé, pour donner cours aux graviers qui étaientfort élevés et qui me gênaient beaucoup, de commencer en tête du fond, c'est à dire au pied dufond Boullier, de faire miner la plus grosse pierre qui obturait le passage de l'eau, de lesmettre de côté, d'employer les débris et autres pierres moins fortes pour refaire à neuf lamuraille qui maintient le dit fond. Celle-ci ayant presque totalement été emportée cela faisaitdeux biens à la fois que de réparer le mur et de nettoyer le lit du torrent ce qui donnaitbeaucoup de courant à l'eau et l'obligeait de se mettre insensiblement au point où il se voitaujourd'hui. Je continuai ainsi jusqu'à ce que fut arrivé au pont Abrial Ainsi faisant, tout endéfendant la maison, je pouvais mettre un petit terrain en culture qui pouvait, par le fruité,enjoliver les abords, ni ayant auparavant pas un morceau de terre de la largeur d'un linceul,pour pouvoir y planter un chou. Ce terrain, à la vérité, m'est devenu très cher car je crois qu'iln'a pas de toise depuis la maison en amont du pont qu'il ne me coûta de débourser au moins20 Fr. ou en façon de mur dans tous les sens, ou en frais de nettoyage, recherche de terre pourle mettre en culture, plantation d'arbres. Mais cela donne bien de l'agrément car avant, commeme le disait un jour un petit monsieur qui, après avoir abandonné sa famille a été mourir àAlger:- Vous habitez, Monsieur un endroit situé dans une belle horreur! »Mais il est moins horrible depuis que plus tard, j'ai joint ce petit coin de pré au levant et mididu bâtiment avec le petit coin de vigne. Il ne m'étais pas permis de faire davantage étant bornéd'un côté par le torrent de la Blême, de l'autre par la grande route car il faut convenir qu'il nem'en aurait pas coûté davantage pour mettre 20 000 toises de terres l'abri si elle y avait été que500 comme il y en a. Mais que faire? Patience. Je le répète, il a semblé que tout devaitcontribuer à mon malheur car n'ayant point de cave à Montclus, ni n'en pouvant faire aucunesans en bâtir une exprès, je me mis en devoir d'en acheter une à Serres. Mais je la voulaisbonne et propre à la conservation du vin et à portée des aubergistes qui pourraient faire ledébit. Mes recherches à cet effet furent inutiles. Je ne trouvais rien qui vaille tant et bien qu'ilfallut que j'acheta la totalité de la maison Miélon où je savais qu'il y en avait une excellente.Mais le bâtiment était en mauvais état et je n'en avais pas besoin, sauf de la cave. Je voyaisd'avance que je me mettais dans une forte dépense. Mais malgré cela, je me décidai. Elle mecouta tous les frais compris, 2000 fr. que je payais comptant, fort de l'argent que je pouvaisavoir à ma disposition, soit de celui que j'empruntais alors. Bien mauvais parti, car depuis lorsje n'ai cessé d'être endetté et je le suis encore. Pour tâcher de retirer quelque petit produit deferme, je fus obligé de la faire réparer car à l'exception des quatre murs-maîtres qui étaientassez bons, j'ai presque tout refait le reste à neuf. Je commençai à aménager de la cave au toitqui était dans le dernier état. Je refis tout l'escalier. Je refis barder la boutique, fis malloner leplancher de la cuisine, fis ouvrir des fenêtres pour ajourer l'appartement et refaire à neufl'évier, cheminée, cendrier, potager, lessivere, alcôve, plafond et grenier sur alcôve, portes etchassis, même répétition au second, le couvert tout neuf enfin. Cette dépense s'éleva debeaucoup au dessus de l'achat, puisqu'elle se monta à 2260 fr Avis à ceux qui ont besoind'acheter de ne pas trop regarder lorsqu'ils trouvent à acheter en bon état car les chosescoûtent toujours plus qu'on ne croit. Celui surtout qui, comme moi, était obligé de tout faireavec l'argent au bout.Après cette acquisition il fallut garnir la cave de tonneaux. Il y avait une assez belle cuve enchâtaignier, mais de tonneaux je n'en avais que deux que m'avait laissé feu mon père, l'un de 6charges, l'autre de 4 et demie que j'ai encore. Mais où placer le vin que produisait ma vignecar les récoltes étaient meilleures d'un côté et de l'autre?. Je n'avais pas encore commencé deles renouveller et j'avais annuellement de 50 à 60 charges de vin à Serres et à Montclus etc'était une excellente denrée dans ces temps là, vu que la commune avait imposé un droit surle vin étranger de 6 fr. par charge ce qui contribuait beaucoup à faire valoir ceux du pays.Aussi j'en faisais un bon argent après le service de la maison, ce qui m'avait beaucoup aidé àfaire mon affaire, n'en ayant jamais vendu au-dessous de 12 Fr et très souvent plus de 16 Fr.Je puis ajouter que les trois vignes que j'avais acquis à Serres et à Montclus étaient à l'instarde la maison en très mauvais état et qu'il m'a fallu faire des dépenses affreuses pour lesréparer, les épierrer, y faire des murs, la repeupler, les replanter à neuf en grande partie. Enfinj'ai été le Don Quichotte de tout ce que j'ai acheté à convenance et à proximité en est en partiela cause. Car si je pris en pension la vigne Jacques, ce ne fut que parce quelle était à portée dema maison, non seulement pour la vigne, mais pour la commodité du tendage des étoffespendant l'hiver. Ce qu'il fit que j'en donnai tant, et que je compte ce marché comme un desplus mauvais que j'ai fait en ma vie, quoique j'eusse voulu la revendre de suite par parties, j'enaurais encore du bénéfice. Mais je ne l'ai pas fait et par la suite elle me donne encorebeaucoup du dépit, car les 480 fr, montant de l'indemnité du passage de la route qui faisaitpartie de la vente, m'aurait beaucoup indemnisé si je n'en avais pas eu à faire à un prêtre, maisà un honnête homme.Celle du prieuré m'est venue aussi assez chère vu qu'elle était en très mauvais état et siencombrée de pierres et que je l'ai toute replantée à neuf, quoique qu'elle ne me coûta que 700et quelques francs. La Blache de Gerrier était presque toute détruite par un four à chaux qu'yavait fait le neveu de Lombard le chapelier. C'était peu de chose et je n'en faisais l'acquisitionque pour m'ôter la servitude de la crainte d'être assassiné par quelques pierres que sontroupeau faisait dégringoler toutes les fois que nous étions de prise d'eau. Cependant, ces deuxdernières bêtises m'ont encore coûté à peu de choses près, 1000 fr.Dans l'intervalle j'élevais ma famille qui devenait nombreuse d'une année à l'autre. Je meprocurais les meubles, ustensiles, linge nécessaire, bois de lit, garnitures, meubles, chaudières,chaudrons, seaux, bassines, arrosoirs et mille autres objets tous plus ou moins nécessaires,dont je n'avais hérité d'aucun. Je m'occupais de l'éducation de mes enfants. Enfin en 1816, jefis faire le bâtiment à neuf de plan où est le fouloir de teinture. Je changeais le foulon quidepuis 18 ans était dans l'endroit où est situé le petit cabinet de la boutique et la chaudière dela teinture. J'en avais alors un qui était à la place de la rivière, mais c'était un supplice toutesles fois qu'il fallait faire de la teinture, rapport à la fumée du feu et à la vapeur de la chaudière.La loge à cochons était à l'endroit qui sert de gloriette pour y pétrir le pain . En 1817, j'ai faittout changer et comme j'avais l'intention de faire travailler de la laine pour fabriquer desétoffes, je m'occupais d'enlever aussi le gruau, le pressoir à huile et la presse aux étoffes et àfaire arranger la boutique pour y travailler. Je fis faire une cuve en bois ( qui, quoique de bonbois et bien soignée n'a duré qu'une vingtaine d'années, rapport à la vapeur de la fontaine quiflue dans la cave, une suite d'infortunes qui ne m'a jamais cessé de me poursuivre) pour yplacer le vin utile pour le ménage et les petites voûtes au dessous qui avaient servies jadis aumoulin, furent converties en cave et garnies de tonneaux. Les choses resteront en l'étatjusqu'en 1822 où j'entrepris le plus fort de mes travaux, celui qui m'a donné le plus de peine etde souci.Dans l'intervalle, de 1816 à 1822, j'ai mis mon fils aîné en apprentissage à Bruis pour yapprendre à tisser et fabriquer les étoffes de cadis. Il profita assez bien du temps qu'il employapour cela et s'il m'eusse secondé dans mes projets, tout ce qui manque actuellement dans lamaison y serait. Et peut-être même que lui en serait plus heureux sous tous les rapports. Maiscet état était trop mesquin pour un homme qui voulait figurer dans le monde comme un petitmonsieur. Aussi il abandonna bientôt tout pour aller faire mille incartades ou folies qui nel'ont rendu ni plus riche, ni plus sain, ni plus heureux, folies qui ne manqueront pas un jour del'en faire repentir, si toutefois ce n'est pas déjà arrivé; mais qui, en attendant, m'ont coûté fortgros à moi, n'ayant retiré aucun profit de la dépense que j'avais faite pour les objets, la bâtisseque pour l'achat des outils nécessaires à cette exploitation, achat de laine, huile, gages desouvriers. Mais patience encore.Me voici enfin arrivé à l'un des plus forts travaux que j'ai fait exécuter lequel m'a occasionnéla plus forte dépense. Je veux parler du changement général que je fis en 1822 de toutes mesanciennes usines de l'endroit où elles étaient anciennement à l'endroit ou elles se trouventaujourd'hui. Je m'étais aperçu que la suppression d'un des moulins m'avait beaucoup étaitnuisible et qu'il était plus qu'essentiel, dans ma position d'en avoir deux en l'état poursatisfaire mes chalands. Vu que parfois on a du grain grossier, malpropre à faire moudre etqu'il fallait le faire tout de même, ce qui très souvent peut devenir onéreux à ceux qui viennentd'un côté ou d'autre; il peut arriver aussi qu'on soit obligé de faire moudre du grain humide etque le moulin s'empâte, ce qui oblige à suspendre le travail pour le rhabiller; il peut arriveraussi, vu qu'au temps des moulures, il arrivera plusieurs particuliers à la fois et que n'ayantqu'un qui tourne, ce travail dure longtemps, ce qui n'aurait pas lieu s'il y en avait deux, et tantd'autres raisons que je passe sous silence, comme la nécessité d'aller chercher du grain àSerres, qui à elle seule justifierait cette démarche. Enfin je m'y déterminai d'autant plusvolontiers que je voyais que quoi que je ne fusse pas éloigné de la grand route, il y avaitencore beaucoup de personnes étrangères qui, dans le temps de sécheresse, venaient moudrehabituellement chez nous, qu'il leur faisait de peine de descendre si bas, je pensai qu'en merapprochant d'elles je les engagerai mieux à venir. Toutes ces considérations me décidèrentdonc définitivement quoi que d'après le calcul que j'avais fait approximativement de cettedépense, je visse quelle ne pouvait n'être que très forte et me mettre à là gêne. Cette résolutionprise, je ne cessai depuis 1816 de m'occuper d'amasser de longue date les matériauxnécessaires afin que tout fusse prêt une fois que je mettrai la main à l'ouvrage. A cet effet uneannée je me procurai les plateaux nécessaires pour les chenals ou coursive de bois pour lerouet, une autre année les meules, une autre les tuiles, une autre le sable, une autre les poutreset solives, une autre les pierres simples ou de taille, soit autrement tellement que dès que jecommençais tout était prêt et que j'eus de reste de tout.Je commençais donc en mars 1822 et je ne terminais que le 4 septembre suivant. Le bonheurd'avoir le temps le plus favorable et de n'être en rien dérangé puisque tant les manoeuvres queles ouvriers ne me quitteront pas de toute la campagne. Je n'eus qu'un jour et demi à leurrabattre pour dérangement. Il pleuvait peu souvent et encore c'était pendant la nuit ou ledimanche. Toutefois, en fouillant pour l'emplacement de la voûte, à un pied sous terre, jetrouvai un ancien cadre de bâtiment d'une dureté incroyable, et dont ni moi, ni d'autres à qui jele fis voir, n'avons jamais pu deviner la destination. Je présume, cependant qu'il pouvait avoirété lié à une usine à feu, car je trouvais dans un endroit comme un grand tas de chevilles defer, de clous et autres choses qui donnaient à deviner à peu prés sa destination. Il y avait troiscoursières en bois pour la conduite des eaux, très bien conservées qui emmenaient l'eau aucentre dans une espèce de cuve en pierre taillée et dessus, en amont de l'écluse, un massif d'aumoins 5 m d'épaisseur arrivait jusqu'au bout des goules des chenals en bâtissé contre lequelj'ai adossé le mur de l'écluse; Ce cadre de bâtiment me coûta plus de deux cent journées deplus qu'il n'aurait fallu s'il eusse été que de terre. On ne savait comment le détruire. Même lamine n'y faisait rien; la masse encore moins; les coins bien peu de chose, si bien que le seulmoyen qui me restait fut de le faire creuser par en dessous et de le faire ensuite partir à laforce des coins et du levier. Je commençais donc à démolir le mur de soutien de l'écluselequel menaçait ruine depuis longtemps et était étayé. J'enlevai le chenet du moulin que j'avaisfait faire en 1797 n'ayant jamais rien valu et ayant toujours perdu beaucoup d'eau du fait de lamauvaise qualité du bois. Une fois que tout fut nettoyé, je fondais le cadre du bâtiment ducôté de Serres et l'écluse les deux autres côtés étant presque tout faits à l'exception de la portedu couchant je fis bâtir la voute en continu. Dans le temps que les murs s'élevaient je faisaisposer les meules, faire les chenals, les rouets, les tambours, les trémies pour élever les meules,les portes fenêtres, enfin tout marchait à la fois. J'employai pour ce travail quatorze cent vingtcinq journées de toute espèce d'ouvriers que je nourris. Il resta pour l'année suivante leplancher au dessus du moulin à gruau, celui au dessus du pressoir à huile et étoffe et le petitmur de séparation du moulin et du gruau. Alors tout fut terminé à neuf n'y ayant absolumentplus rien de vieux que la meule gisante du gruau et la coupe du pressoir qui plus tard futrenouvelée et faite avec le pressoir.Il est inutile de dire que la dépense a été très forte soit en acquisition de tout le matériel,journées pour le confectionner, ferrements et autres choses, chômage des usines pendant plusde neuf mois dans un temps où j'aurais pu gagner quelque chose. Mais c'était en quelquefaçon indispensable. Il fallait le faire et je l'ai fait fort heureux que ce soit terminé sans laisserde regrets l'ayant tout fait, confectionné sans conseil, ni plan, ni ingénieur, ni conducteur detravaux, ni sans aucun secours, rien que d'après mon idée. Si les choses vont bien je n'en saisgré à personne. Si elles vont mal ce n'est qu'à moi que je peux l'attribuer. Ce changement sicoûteux m'a procuré quelques petits avantages en dédommagement. Il m'a rapproché, commeje l'ai dis déjà, de la grande route, motif plus considérable qu'on ne le pense. Il m'a procuréune cave pour y loger 50 charges de vin, l'emplacement d'une cuve, une charmante boutiqueou toute autre pièce, à côté un charmant endroit, pour y pétrir le pain, la facilité d'avoir sousles yeux, de la place de son feu, toutes les usines et d'entendre comment elles vont, deconnaître qui entre et qui sort, de m'avoir procuré en outre une petite écurie et au dessus dumoulin un grenier pour le fourrage assez vaste, toutes choses qui à terme peuvent avoir leurutilité. Qu'on m'en blâme ou qu'on m'en loue peu m'importe. Je l'ai fait parce que je l'ai cruutile et à coup sûr dans une bonne intention sans que cela puisse offenser sont priés de ne passe faire de mauvais sang, car ce serait de leur part chose bien inutile. Cela me plut ainsi. Laseule chose que je regrette est celle de n'avoir pas fait tout d'un coup un chenal avec gueule enmaçonnerie pour le gruau comme celle du moulin à farine, puisqu'il faudra tout aussi bien yrevenir ne pouvant jamais dans l'été parvenir à étancher totalement l'eau. Ce qui n'est pas unminime inconvénient et pour cette addition je n'aurais guère plus dépensé, mais il faut quetoujours quelque chose exceptionnel encore.D'après les notes prises dans mes journaux et mémoires, je trouvai qu'à partir des premierstravaux faits sitôt la mort de mon père jusqu'au ler janvier 1838, j'ai dépensé en travauxextraordinaires tels que bâtisses, constructions d'usine, changements d'icelles - ou doubletravaux que j'ai été obligé de faire soit pour n'avoir pas pu le faire la première fois, soit parmotif de pure spéculation; ces doubles travaux dont j'ai gardé la note s'élevèrent à 6 000 F -murs contre le torrent de Blème, réparation des maux que le dit torrent et le ravin de la Buissem'avaient causé; réparation du fonds Boullier que j'ai doublé en l'élargissant tant du midi quedu nord; réparation de la maison de Serres; réparation des vignes; enfin généralement pourtout ce que j'ai fait d'extraordinaire, - les travaux ordinaires et annuels ne comptant pour rien -.j'ai dépensé 32 000 F. Bien des personnes diront si j'avais eu une telle somme j'en aurais peudépensé, ni moi non plus. Si j'avais élevé ou entretenu à ma main, j'aurais dépensé au fur et àmesure de mes revenus. Or je n'ai jamais eu à ma disposition pendant 24 heures 600 fr. quej'ai pu dire m'appartenant de la terre je faisais mon fossé; voilà tout le secret . 32 000fr. noncompris la nourriture des ouvriers, somme énorme pour avoir fait si peu de choses, mais ceuxqui m'auront suivi attentivement et sans partialité, que de toutes les choses, une fois la Sanspouvoir l'éviter, excepté de vouloir le laisser imparfait et malgré tous les raisonnements bonsou mauvais qu'on peut faire à ce sujet, je pense n'avoir rien fait de trop. Car enfin, je voispremière faite, les autres ont toute découlé naturellement l'une de l'autre.Sans pouvoir l'éviter, excepté de vouloir le laisser imparfait et malgré tous les raisonnementsbons ou mauvais qu'on peut faire à ce sujet, je pense n'avoir rien fait de trop. Car enfin, je voisque tout ce qui existe a une utilité réelle et donc la suppression de quoi que ce soit ne pourraitque nuire et faire faute. On doit me rendre la justice que dans tout ce que j'ai fait, je n'aicherché que l'utile, le salubre et le solide, le luxe n'étant entré pour rien. Rien n'a été assezcommun pour avoir jamais voulu m'élever au dessus de ma sphère, ni donner à rire à mesdépends aux mauvais censeurs. En effet on ne trouvera chez moi, ni glaces, ni tableaux, nitapisseries, ni lambris, ni meubles précieux, ni tant d'autres choses qui n'ont de valeurqu'imaginaire et n'appartiennent qu'à des fous ou à des gens extrêmement riches. Moi dans lestravaux que j'ai fait exécuter, je n'ai cherché que de mettre mon patrimoine dans le plus grandrapport possible et si la fortune me l'avait permis, j'aurais encore établi une carde pour lalaine, peut être que ce serait été la meilleure spéculation, ou bien encore un martinet pour lefer. Il est bon de retenir qu'à l'exception de mes derniers travaux, tous les autresprécédemment faits avaient toujours eu lieu dans le temps que les denrées de bouche et autresétaient à des prix exorbitants. Les journées des ouvriers aussi parce qu'à tort on n'avait pas lafacilité de se procurer d'ouvrier marron, ni de tailleur de pierres étrangers comme aujourd'huiet qu'il fallait se servir des massacreurs du pays qui faisaient peu et mal.Je puis mettre à la suite de ces dépenses, celles que m'a coûté l'éducation et le soin de manombreuse famille qui ne sont pas peu conséquentes. Ma femme m'ayant rendu père de 11enfants dont deux sont morts en bas âge,- aussi je ne compte pour rien ce qu'ils m'ont coûté -,mais les 9 autres je les ai tous conduit jusqu'à 21 ans et plus sans en avoir retiré aucunavantage d'eux ou du moins qu'un bien minime. Il a fallu les entretenir de tout ce qui est utile,les soigner, les envoyer aux écoles du pays depuis 6 ou 7 ans jusqu'à 16 ans et après leur faireapprendre un état,. Deux d'entre eux, Paul et Auguste ont été élevés à l'École Royale des Artset Métiers de Chalons Je pense que l'homme le plus irraisonnable ne trouvera pas que je portetrop haut la dépense en la portant à 200 fr. par an et par enfant depuis leur naissance jusqu'à21 ans tout compris frais de nourriture, chaussures, linge, chapeaux, livres, encre, plumier,papier frais d'école d'apprentissage, menus plaisirs, ce qui donnerait pour chacun 4200 Fr pourles neufs 37 800 fr laquelle somme atteint le total de 69 800 fr argent déboursé non compris.La nourriture des ouvriers employés que je pourrais mettre sans crainte à 15 000 fr., mais queje déduis pour plus d'aisance et de facilité à 10 200 fr, en tout 80 0000 fr. Que l'on me cite unpère de famille de ma condition et de mes moyens qui en a fait autant et je serais content.Sans pour cela j'ai joué le rôle du sauvage ni du vilain fuyant la compagnie. Au contraire jel'ai toujours fréquentée honnêtement comme si de rien n'eut ôté.Maintenant pour en finir et tranquilliser mon lecteur je vais lui indiquer les sources où j'aipuisé pour me soutenir avec de pareilles dépenses. Et dans ceci comme dans ce qui précède, jepromets de ne rien omettre de ce qui est vrai. Je vendis deux vignes à Serres et une àMontclus 1250 Fr, une maison écurie, une cuve en bois pour les vendanges 1000 Fr, laportion de mes graviers 60 Fr Je vendis un fond au Sourraï, terroir de Serres que j'avais demoitié avec le cousin Joseph Mannent, auquel il fut compté 1040 fr. qu'il devait à mon pèretant en capital qu'en intérêts m'étant engagé à payer 30 Fr et à lui donner le blé pour 27 Fr, ilme coûtait au total 1976 Fr. mais je fis un mauvais marché pour m'être laissé mener par lePère Miellou tellement que je le vendis au plus haut prix 33 sols la toise. Il ne me restait que1600 Fr sur quoi il faut rebattre les 300 Fr de sa femme, les 27 Fr de blé et les frais d'acte. Ilne me resta en définitive qu'environ 1200 Fr et je retirai un capital de 150 Fr de LouisTarascon de L'Épine, un autre d'Antoine Richaud son voisin de 450 Fr. provenant d'unesomme prêtée en assignats de 600 fr. à 67 fr. le cent, encore de 72 Fr de Lombard Claudine deMontclus; une promesse de Lombard, du Champ du Meunier, plus les 3000 fr.que me remit ma mère encore 600 Fr et 70 Quintaux de sel que je vendis ce qui fait la sommede 10 212 Fr. plus les 500 Fr de dot de mon épouse. De laissé par feu mon père la somme de10 212 Fr; j'ai vendu de propriété soit dans le terroir de Serres, soit dans celui de Montclus,propriétés que j'avais acquise et qui n'avaient rien de commun avec le patrimoine de monpère, mais néanmoins le montant en a été employé à solder une partie de ces travaux ou àl'entretien de mes enfants. J'ai vendu 2700 fr. le fond de Bravel, pour 1220 Fr la vigne de leCroix provenant de même, à Montclus pour 650 Fr, le tout 4570 Fr , soit un total de 14 782 Fr(je retirais après la mort de ma belle mère 500 Fr du bien qui, mais il faut dire que j'ai toutdévoré les produits de mes biens et usines qui étaient forts conséquents dans un temps pourpouvoir survenir car dans le temps que j'avais le fonds de Blême je récoltais annuellement 12charges de blé .Autant que je pouvais en vendre au moulin au prix où il était demeuré longtemps de 8 jusqu'à15 fr la charge, je pouvais vendre en outre, de 36 à 40 charges de vin de 12 à 15 Fr l'une.Tout ça donnait du produit.. Le moulin à huile rendait tout de même quelque chose, le foulonet la teinture pouvaient produire annuellement de 800 à 1000 Fr. Sur cela il fallait payer lacontribution , la terre, les journées pour les besoins de la maison, culture des terres, façon dubois, menus plaisir. Mais les choses ont bien changé depuis 1824 et les revenus sont biendifférents aujourd'hui. On gagne peu de l'état par rapport aux concurrences et la pénurie où lesgens se trouvent . Les récoltes ont extrêmement changées et on récolte presque plus rien, envin, vu que j'ai vendu une partie des vignes et renouvelé le reste, le blé aussi et si on vendquelque peu il est à si bas prix qu'il ne rapporte rien ou alors, il faudrait en avoirabondamment et la dépense serait encore assez forte si on voulait satisfaire tout.Après avoir donné ci-devant une idée comparative des biens et des maux auxquels leshommes se trouvent exposés sur la terre que nous habitons et desquelles dépend notrebonheur ou malheur particuliers, je vais exposer, en ce qui me concerne, ma manière d'êtredepuis l'âge de 20 ans jusqu'à aujourd'hui que je cours sur ma septante-troisième année.Certainement que dans la totalité il s'en trouvera plusieurs qui auront encore plus à se plaindredu sort. Mais ça ne m'empêchera pas d'avoir eu une assez bonne part du mal. Je promets de nedire ici comme ailleurs que la pure et simple vérité car à quoi aboutirait le contraire puisque lachose est.Récit de tous les malheurs, disgrâces et calamités de toute sorte quiaffligèrent fort le cours de ma longue vie.J'arrive à la Révolution française de 1789, avec ma dix-septième année révolue. C'est à cettefatale époque que je dois la plus grande partie du malheur que j'ai éprouvé quoiqu'elle ait étébien propice et favorable à d'autres. Elle n'a pas été favorable à la position dans laquelle je metrouvais alors. En effet, les lois qui furent mises alors en vigueur anéantirent la banalité desmoulins et fours seigneuriaux qui obligeaient forcément les habitants de chaque pays à venirfaire leur moulure à leur moulin et cuire leur pain à leur four et permirent de construire àvolonté et d'usines en tous genres et d'aller faire leur travail où bon leur semblait sans crainted'encourir aucune punition. Comme il est dit ci-devant, c'est ce qui porta un coup mortel àmes affaire et fit, à ma fortune, une cicatrice qui ne se refermera jamais car à cette époque lesmoulins de Montclus donnaient un excellent produit vu leur position à ne craindre ni le froidd'hiver, ni la sécheresse d'été. Depuis lors, il s'est construit de nouveaux moulins à Serres,Sigottier, Savournon, Montrond, Méreuil, La Blache de Trescléoux, Montjay, Ribeyret,Montmorin, L'Epine, soit à eau, soit à vent, qui tous plus ou moins ont nui à mes intérêts.Ensuite on a construit aussi des foulons à Rosans et à Montmorin, qui m'ont aussi faitbeaucoup de tort dans cette partie: premier malheur, et le plus irréparable.Il est vrai que lors de cet événement, je n'étais pas encore en charge d'affaires et mon pèrevivait encore. Mais le contrecoup du mal qu'il en éprouvait, retombait en entier sur moipuisque j'étais son enfant unique. En 1791, le gouvernement ayant les finances en mauvaisétat créa pour faire aller les affaires, une monnaie en papier sous le titre d'assignats ethypothéqua sur les biens nationaux ayant appartenu au ci-devant clergé de France et aux cidevantseigneurs qui avaient émigré et pris les armes contre la patrie et dont on vendit lesbiens. Le papier devait être pris pour la valeur nominale comme du vrai argent par le moyen.Les capitalistes furent malheureux parce que les débiteurs peu délicats trouvèrent un moyenavantageux pour s'en libérer et en profitèrent. Feu mon père qui avait placé avec intérêt sespetites économies de 60 ans de sueur, de peine et de privation et qui pouvait arriver de 12 à 14000 Fr, capital et intérêts, lui furent tout remboursé impitoyablement en papier, lequel, fautede l'avoir su employé, fut tout perdu sans miséricorde, parce que sous peu cette monnaieperdit toute valeur: deuxième malheur et même très fort pour un homme tel que moi.A la même époque de la chute du papier monnaie, c'est-à-dire en 1795 et 1796, on mechargea de la recette des contributions de Montclus parce qu'alors chaque commune avait sonpercepteur à soi. Cette contribution devait être faite en argent ou en blé. Il se trouva que ceuxqu'on avait chargé de la fonction du rôle n'avait pas pris le vrai revenu net de Montclus pourbase, de façon que le rôle qu'on m'avait remis se trouvait court de 500 fr. qu'il fallut que jepaie de mes deniers et que, malgré toutes les réclamations que j'ai pu faire à ce sujet, ont étéautant de pertes pour moi : troisième perte pour moi.Il me restait encore à retirer des créances de mon feu père, 900 Fr du cousin Marient de Serresqu'il devait depuis 29 ans et dont il n'avait jamais payé d'intérêts vu que, si j'étais mort, ilaurait hérité peut-être du tout, comme plus proche parent. Et bien entendu qu'elles n'étaientpas libérées en papier. Je lui fis l'abandon de tous les intérêts et, pour l'arranger, nous fîmes unmarché duquel j'ai été très dupe: il me remit un fonds au Chouchaïs pour paiement de mon dû.Moi je lui remplis une septive, estimée à 600 Fr. Je m'obligeais à payer à sa soeur trois centsfrancs et lui donnais encore une charge de blé valant 28 Fr et la dette, ce qui faisait en tout1828 Fr, non compris les frais de l'acte et moi je n'ai pu le vendre que 1600 Fr quoique je l'aievendu au plus haut prix de sa valeur 32 sols la toise. Cela fut dû à ceux qui aidèrent au marchéet que moi ne connaissant pas la vraie valeur de ce fonds, on me fit donner plus qu'il ne fallaitréellement. Quatrième perte.En 1793, il m'était arrivé une autre catastrophe. Comme je l'ai dit plus haut, le gouvernementfrançais ayant toutes les puissances de l'Europe sur les bras, fit un appel par sa loi du 23 aoûtde tous les jeunes gens en masse de 18 à 25 ans révolus. Je fis partie de cette fameuseréquisition. On nous organisa en compagnie et bataillon et le district de Serres qui représentaitune sous préfecture de Gap, devait en fournir un aussi bien que Briançon et Embrun. Lors decette organisation, je fus nommé capitaine des jeunes gens du canton, en mon absence. Je prisdes mesures pour figurer dans le nouveau poste vu que nous attendions d'être mis tous enactivité. Je me fis donc habiller à double bien proprement et me montait de tout ce qui étaitnécessaire à mon nouvel état. Je donnais un repas à toute ma compagnie qui était composée decent hommes. L'ordre étant arrivé, nous partîmes de Serres pour nous rendre du côtéd'Entrevaux et nous restâmes stationnés 25 jours à St Benoît. Date à laquelle nous nousrendîmes au Puget, terre piémontaise où on nous encadra dans un autre corps où il n'y avaitpresque plus besoin d'officier. Le gouvernement ayant manqué à sa parole de nous laisser telsque nous étions organisés; après cette chute, cela avait mis mes parents aussi bien que moi demauvaise humeur, vue la dépense considérable, faite à cette occasion en pure perte. Aussi onchercha le moyen de me faire entrer dans un atelier de salpêtre, vu que cela servaitprovisoirement d'exemption. J'y ai travaillé à peu près 4 années, me nourrissant à mes frais,sans gagner un centime, au contraire je fus toujours tenu de faire des sacrifices pour apaiserles jaloux, tantôt par des présents, tantôt par des repas. Je crois que la dépense que m'aoccasionné ce fatal événement, sans y compter le risque de la vie par une maladie très sérieuseque je ramenai avec moi de l'armée, s'est élevée à plus de 2000 fr: 5ème malheur.Plusieurs autres ont été plus heureux; ils ont échappé en s'enfuyant ou en se mariant avec desfemmes plus vieilles. Il n'en a pas été ainsi pour moi. Au bout de ce temps, voyant qu'il n'yavait peu de trêve sur cette affaire et qu'on menaçait ceux qui étaient occupés au salpêtre deleur faire rejoindre leur corps, je me décidais, après avoir pris conseil, de me marier aussi.Mon père était mort en 1796. Ma mère était déjà âgée. Cette résolution fut pour moi unnouveau malheur et j'aurais gagné certainement à aller reprendre du service ou j'aurais puparvenir à avoir du pain ou à crever. Mais tout de même j'aurais du. Mais le sort n'en avait pasainsi décidé. Je pris donc une femme de mon goût - avec 600 Fr de dot, dont j'employais 100à l'orner - de laquelle j'ai toujours été très content. Laquelle, par une fécondité extraordinairem'a rendu onze fois père pour m'achever de me fixer et me mettre à quai. Car ce n'est pas unepetite affaire pour celui qui, comme moi, n'a qu'une fortune très bornée que d'avoir sur lesbras onze enfants à nourrir, entretenir, faire élever. Leur donner des états à tous est une vraiecalamité. Cependant il me fallut durant toutes ces périodes et à la fin, ne recevoir que del'ingratitude pour tout remerciement. Tel est l'ordre des choses.J'arrive enfin à la tête des affaires de la maison. Je trouve tout désorganisé et hors de servicepar l'inertie de mon feu père. Le moulin était dans un état d'abandon, les bâtiments deMontclus et Serres hors de service et les quelques mauvais immeubles en terres labourablesou vignes en bien mauvais état. Aussi, je m'empressai de vendre ce que je pouvais pour faireréparer le restant. Je n'avais pas hérité d'un centime en argent et le peu qui avait échappé aumalheur général était entre les mains de ma feu mère. Pour ne pas l'inquiéter j'avais garde delui en demander, ayant pour une fois d'argent à ma disposition. Je cherchais à réparer la perteque m'avait fait éprouver cette malheureuse révolution. Je vendis la pierre et le rouet d'un desmoulins à Martin du Champ du Meunier. Je fis mettre les bâtiments en état pour pouvoir yloger une famille sainement et proprement. Je fis mettre en place du moulin supprimé, unfoulon aux étoffes et j'y agrégeai une teinturerie. Je tins des ouvriers qu'il me fallait payer bienchèrement pour m'apprendre à fouler et à teindre. Je réussis dans mon entreprise. Le travailarrivait abondamment. Aussi, enhardi et cherchant à mettre mon petit patrimoine dans un plusgrand rapport, je fis construire encore un pressoir à huile et par un mécanisme fort simple jeréussis encore et tout semblait aller au gré de mes souhaits. Je jouissais d'une bonne santéainsi que ma mère et épouse. Déjà quelque enfant s'élevait et tout semblait me favoriser et mepromettre du bonheur.Mais tout cela ne fut qu'un leurre de courte durée. Car le 23 juillet 1808 un orageextraordinaire accompagné d'une pluie très forte et qui dura plus de trois heures, vint me faireéprouver une perte de plus de 5000 Fr. D'une façon ou d'autre il anéantit le barrage qui existaitalors à la prise et toutes les murailles qui soutenaient le canal jusqu'au pont. Il enterra lamaison jusqu'aux fenêtres du rez-de-chaussée, emporta toutes les murailles du fonds Boullier,ainsi que le mur à chaux et sable qui soutenait l'aire qui est aujourd'hui le jardin jusqu'au ravinde la Buisse. Ce même ravin emporta à moitié l'écluse à cause d'une grosse pierre qui étaitplacée ou se trouve maintenant le chenal d'arrosage et qui me coûte 800 Fr d'exploitation rienqu'en poudre ou en journées payées aux mineurs ou maçons et non compris leur nourriture. Lelit de la rivière fut comblé de gravier et élevé de trois mètres au dessus du fond ordinaire quiétait tel qu'il est aujourd'hui, ce qui fit changer toute l'eau de notre côté, m'emporta six centquintaux de plâtre, tout ce qui était sur l'aire et mille autres choses que je passe sous silence.Pour donner issue à l'eau et se débarrasser de cette affreuse opposition de gravier, il fallutfaire enlever la grosse pierre susdite et resserrée l'eau du torrent par un mur de pierre sèchesconstruit solidement depuis le pont à l'aval au dessus de la maison.Et tout cela fut dû à la Révolution de 1789, car sans elle la route 94 n'aurait jamais été jamaisouverte et les débris des excavations et les rebuts de pierres taillées pour le pont ne seraientpas venues se déposer auprès de chez moi comme ils firent. S'il n'y eut que d'eau, une foisécoulée, tout serait été fini et m'aurait évité ce sixième malheur et perte très grave. De plus, letemps orageux s'est continué après cette époque encore quatre ans, qui tous m'ont plus oumoins occasionnés de dépenses. Toutes les années, après avoir fait réparer le barrage de laprise et les autres objets les plus pressants, je fis aussi construire le pont auprès de l'écluse etsur lequel passe l'eau du canal, afin de m'éloigner des insultes du torrent de la Buisse.Entre temps, je plaçais mon fils aîné à Bruis pour lui faire apprendre à tisser l'étoffe ayantconçu le projet de monter un atelier de cette partie qui semblait me promettre de petitsbénéfices. Je tenais les autres à l'école. Au fur et à mesure que l'un en sortait, y entrait unautre. Lorsque le troisième, appelé Paul eut quatorze ans, j'obtins pour lui une place gratuite àl'école des arts et métiers de Chalons sur Marne dans laquelle il demeura six ans. Après sasortie, le sort lui étant de se rendre à Nancy comme militaire, il y fit une chute, se froissa unecuisse et cette blessure après treize ans, malgré tous les soins qu'on a pris, l'a mit au tombeau.Les dépenses, - le trousseau, les frais de retour, menus plaisirs, etc. - s'élèvent à plus de 800 Fret sa dernière maladie à 1960 Fr d'après le compte de son frère aîné, dont une partie est payéeet le reste il faudra bien qu'elle le soit : septième malheur.Avant la sortie de Paul de l'Ecole de Chalons, j'avais obtenu pour mon fils Auguste, une placeà la même école en payant le quart de la pension qui était de 125 fi., plus le trousseau. J'aipayé trois ans, dépenses qui, jointes au trousseau, frais d'aller et retour, menus plaisirs, etc. -montent à plus de 700 fr dépenses en pure perte puisque cela ne lui a servi à rien et qu'il a finipar disparaître sans que j'ai jamais su où il se trouvait. (Depuis lors, j'ai reçu la nouvelle sûre,par M. l'Administrateur de l'établissement, qu'il était décédé à l'Hôpital Hôtel Dieu deMarseille le 11 août 1830): huitième malheur.Dans cette somme n'est pas compris ce qu'il me devait, que je lui l'aie donné moi-même oùqu'il me l'ait pris, ce qui fait plus de 300 fr. En tout, pour ces deux enfants: 1000 fr en pureperte. Dans la même terme, le second de mes enfants, nommé Camille apprit le métier deserrurier. Après être sorti de l'apprentissage, il partit pour faire son tour de France, travaillaquelques temps à Lyon puis il partit pour Paris. Il attrapa la gale chemin faisant, alla s'adresserà quelque empirique qui lui vendit des remèdes mercuriels et s'en frotta par un temps froid. Lemercure fit rentrer sitôt la gale, mais lui détraqua le cerveau et après trois jours de flottements,tout robuste qu'il était, le porta aussi au tombeau. La dépense que cela m'a occasionné pourfrais d'apprentissage, menu plaisir, équipement de départ, argent pour voyage, etc. s'élèveencore à 800 fr: neuvième malheur.Le projet d'étoffe semblait aller à peu près. Je tenais deux ouvriers pour peigner et carder lalaine. Mon aîné tissait et un ouvrier avec lui nous faisions encore beaucoup de ménagères ensus des nôtres. J'avais monté une petite boutique de tout ce qui était nécessaire et en bon état.J'allais acheter des laines pour fabriquer. Nous apportions nos pièces pour les rendre propres àêtre vendues et tout cela semblait tourner à bien. Mais ce fut comme le reste, il ne fut que debien courte durée. L'aîné se dégoûta d'un tel état comme trop mesquin pour un monsieur telque lui qui voulait figurer en grand dans le monde. Il chassa la pratique et mon atelier malgrémes peinés, soins et dépenses fut anéanti. La perte que j'éprouvai dans ce cas, fut sur ce que jeperdis en revendant sur la laine, les travaux, l'huile, etc. Il me fallut de plus lui donner del'argent lorsqu'il partit comme un étourdi pour l'Espagne, sans but ni projet. La dépenses'éleva à plus de 900 fis, y compris le voyage qu'il avait déjà fait à Paris avec l'huissier Girard: dixième malheur.A la même époque on construisit à Rosans, à Montmorin et à Sigottier de nouveaux foulonsqui entrèrent en concurrence, celui de Chabestan qui ne faisait rien fut remis en vigueur et semaintint, ce qui n'a pas été une perte minime pour moi: onzième malheur.A la suite de toutes ces catastrophes il me restait encore sur les bras trois enfants. Mon filsHypolite qu'une maladie convulsive estropiait car il était né boiteux ou on le rendit tel lors desa naissance, et il resta boiteux Honorine qu'une fluxion aux yeux menaçait de lui faire perdrela vue, Joseph qui avait aussi un oeil faible. Il fallait tous les faire élever et leur donner desétats ce qui a été fait pour tous à l'exception d'Honorine qui, rapport à son oeil, n'a jamais pusupporter l'école. Joseph au sortir d'apprentissage a eu encore le sort d'être militaire et setrouve maintenant en Afrique (depuis sa sortie du service il est entré dans les douanes et setrouve actuellement à Sète, Hérault.) Pour ces trois enfants, y compris les frais d'apprentissagede Joseph, leurs menus plaisirs, l'argent de départ ou d'envoi pour secours à leur résidencejusqu'à aujourd'hui la dépense s'élève au plus bas à 1200 Fr: douzième malheur.Les nouveaux moulins qu'on a construit depuis peu à L'Épine, soit à vent, soit à eau, surtoutce dernier d'Isidore Beynet, me nuisent singulièrement : treizième malheur.Il faut ajouter à tout cela tous ceux du pays qui m'ont déserté par la sollicitude de Mr Denizot.Une fois qu'un homme est dans l'infortune, tout se réunit pour l'abîmer et l'anéantir. J'avaisfait construire une cuve à vin en bois au moulin pour l'usage de la maison. En ayant une autreà Serres pour y placer le superflu qui me restait pour vendre, j'avais pour sa construction lameilleure quantité de bois de chêne et de fer. Elle était bien sûr conditionnée, mais unefontaine d'eau très douce jaillissait la cave faisant beaucoup de vapeur. La vapeur ne trouvantpas à s'échapper au dehors, elle était obligée de séjourner dans le local où était placée la cuve.Ce qui fit qu'au bout de 20 ans elle était totalement pourrie tandis que placée proprementcomme elle était, elle aurait duré plus de cent ans. Le fer est resté mais je n'en retirais pasl'argent qu'il m'avait coûté. Mais le bois rendu chez moi ou les frais de l'ouvrier me coûtaient80 fr non compris la perte que je faisais sur le fer: quatorzième malheur, sans compter lesfrais que m'occasionnaient toutes les années, les déplacements m'obligeant de porter à Serres.En 1813 n'ayant pas terminé tous les travaux de maçonnerie que j'avais à faire et dans la vued'économiser, je fis construire un four à chaux au fonds Moullier. Je fis couper le boisnécessaire à la section de la Blache. Je le fis cuire et tout réussit à merveille. Mais étantembarrassé de mes moulins, je ne pus pas enlever la chaux de suite, ni la détremper. Je laréouvris bien avec des planches, je bouchai bien l'ouverture de la bouche du four et je croyaispar ce moyen ma chaux en sûreté. Mais voilà que le temps se mis à la pluie pour plusieursjours ce qui fit tellement enfler la fontaine que, soit qu'il en eusse passé de l'eau ou soit quel'égout des pluies fluviales se réunit en cet endroit, il en entra une si grande quantité dans lefour, qu'il enflamma la chaux et me la rendit impropre à être employée, ni pour chaux, ni poursable. Le four pouvait contenir de faire dix huit muids qu'il me fallut acheter ensuite au prixde 18 fr en portant la perte à 324 fr et la faute que j'eus ensuite du bois: quinzième malheur.Mais le plus grand malheur que j'aie éprouvé dans ma gestion, fut celui que m'a occasionnél'ouverture et le passage de la route royale dont les maux directs et indirects qu'elle m'aoccasionné s'élèvent au moins en totalité à la somme de 10 000 fr. Sur cette somme sontcompris les 5 000 fr de pertes provoquées par l'orage du 23 juillet 1808. Le reste a été fournipar plusieurs autres événements partiels tels que la perte de coins de terres que mon père avaitgagné à l'alentour de la maison et qui ont été anéantis sans indemnités, la destruction du pontet de l'aqueduc que mon père avait fait construire sur ce maudit ravin de la Buisse. Tant que lepont avait existé aucun mal ne nous arrivait. Depuis sa destruction, il semblait que le ciel lefaisait à dessein car pendant sept années consécutives il n'a jamais manqué, lorsqu'on eut faitun mur en fer à cheval là ou était naguère l'aqueduc, de venir déverser son affreuse quantitéd'eau chaque année et attendu que j'avais été obligé de déplacer mon canal immédiatementcontre le mur en fer à cheval, les graviers qui entraînaient le ravin,- vu qu'on s'était emparé ducanal pour établir la route, - ne pouvaient éviter de tomber dans mon canal. L'eau qui venaitde la prise de la rivière entraînait ce même gravier dans l'écluse d'ou il fallait les enlever tousles ans avec la brouette. Ceci dura jusqu'en 1818, date à laquelle je fis construire un autreaqueduc sur lequel passe maintenant l'eau du moulin et au dessous s'écoule l'eau du ravin ensortant de l'aqueduc qu'a fait construire le gouvernement à l'emplacement de l'ancien mur enfer à cheval.Les scélérats qui à l'époque dirigeaient ces travaux, - tant ingénieurs qu'entrepreneurs,- étaientdes monstres et des sauvages. Ils me firent défaire à mes frais le gros mur au dessus del'écluse du moulin contre toute équité et dans la saison la plus rigoureuse de l'année et letemps le plus froid, quoi qu'on n'ait pas passé pendant 3 ans sur le pont puisqu'il n'était pasterminé. La destruction de ce mur et le temps de chômage occasionnée, le terrain qu'il m'agâté à l'alentour et la moitié de la longueur de la route qui m'appartenait de plein droit et dontje n'ai rien retiré n'ayant pas été porté sur le tableau des indemnités, ce que j'avais éprouvé dedommages par le gravier emmené toutes les années dans l'écluse et enfin l'aqueduc que j'aiconstruit au dessus des murs latéraux qui accompagnent le ravin à la rivière et généralementtout ce qui est mentionné ci devant - y compris la perte de plus de vingt ruches à miel en troisfois - me coûta plus de 2 500 fr. Lorsqu'on fonda le pont Abrial, ils me promirent bien de fairetoutes les diligences nécessaires pour que le chômage ne me nuisit pas, tant la saison étaitprécieuse. C'était en effet dans les mois d'août et septembre les plus beaux de l'année pour lamoulure et le grain était très cher puisque son cours ordinaire était entre 11 et 12 fr. l'ancienneémine ou 44 fr. l'hectolitre. Je perdais toutes les 24 H de 16 à 18 fr et ce polisson qui avaitbien promis d'abréger les travaux et que sous 8 jours je pourrais me servir de l'eau pour fairetourner mes usines en employant à faire ce qui était utile pour faire passer l'eau partout, porteà plus de 700 fr et attendu que ce monstre avait ouvert une carrière en haut par les graves d'ouil faisait descendre des blocs qui cubaient plus de 10 m3, d'ou il faisait descendre pour en fairedes satilles. Ces blocs avaient tellement abîmé mon ancien barrage et murs de soutien ducanal que je ne puis plus parvenir à boucher l'eau. Je fus obligé d'établir un nouveau barrage àtrente mètres au dessus, lequel est construit en fortes pierres séparément arrêtées de chaquecôté , ensuite au derrière se trouve un mur bâti à chaux et sable bien constitué afin que l'eau nefiltre pas et se rende dans l'écluse. Ce travail m'a coûté encore 400 fr non compté la nourrituredes ouvriers 16ème, 17ème et 18ème malheur.Aujourd'hui, après tant de chutes de malheurs inopinés de toutes espèces, je me croyais àl'abri de tout événement quelque extraordinaire vu les précautions que j'avais prises pour mesoustraire à de semblables événements. Mais ne faut-il pas que par l'événement arrivé auxdigues de Serres, je sois encore en butte à de nouvelles souffrances pour moi qui n'avais rien àme mêler là-dedans. Il a fallu que la Commission syndicale, de l'aveu de ces messieurs dugénie, vienne prendre des pierres sur le serre de Montclus sans me demander aucuneautorisation préalable. Quoique ayant à leur disposition de très belles carrières plusapprochées de leurs travaux que des nôtres, les entrepreneurs ont décidé de faire au béal dit duTeysserre qui sépare les deux communes, des extractions à la carrière dit la Grave au dessusde mon nouveau barrage. Ensuite ayant changé leur atelier entre le pont abrial et le ravin de laBuisse, ils ont encore exploité toutes les grosses pierres qui s'y sont trouvées et ont fini parexploiter celles qui séjournaient depuis des siècles dans le lit même du ravin. Ils les ontdéposé sur les bords latéraux ce qui a produit non seulement une grande quantité de blocspour la digue, mais un tas considérable d'autres pierres ou débris de moindre qualité, qu'ils ontlaissé dans le lit du ravin et qui, si on ne les enlève pas, peut un jour occasionner à moi ou àceux qui me succéderont quelque malheur extraordinaire vu que d'ouverture de l'aqueducétabli sous la route peut être bouché par ces tas de pierres et l'eau du ravin s'étendre à droite età gauche sur mes propriétés et y occasionner de très grandes pertes. Voyez d'après tout cela,s'il ne faut pas que tous les diables s'en mêlent pour me nuire, ce qui faisait pour moi le 19èmeou 20ème malheur qui se serait joint aux précédents pour finir de m'anéantir Tous cesétranges événements ne sont dus qu'à la révolution de 1789 qui a causé la désorganisation detoutes mes affaires et me plongea dans la plus cruelle situation. Cet affreux et terribleévénement a renversé tant de fortunes et tant de maux, qui ont été balancés que par desprogrès bien éphémères dont la plus grande partie est déjà disparu et dont le reste disparaîtrasous peu. Car le gouvernement actuel a marché à grands pas vers le despotisme qui avaitanéanti ses prédécesseurs sans s'apercevoir peut être qu'il se creusait ainsi un précipice sousses pas. Car sans ce malheureux événement, j'aurais pu être heureux dans la position où je metrouvais et suivant mon état et condition sans être tenu à supporter tant de maux, tant de soins,tant de dépenses. Si la banalité du moulin n'avait pas été supprimée, je n'aurais pas eu depermis de construire à volonté toutes sortes d'usines qui ont anéanti mon produit. Mon bienn'aurait pas été mis à contribution puisqu'il était noble, tant ceux que je possédais à Serres queceux de Montclus. Je n'aurais payé ni porte et fenêtre, ni droit de patente, ce qui est trèsconsidérable. Je n'aurais pas perdu de 12 à 14 000 fr de capitaux placés par mon père qui nem'ont presque rien produit. Je n'aurais pas été obligé de faire de dépenses, ni d'aller au servicerisquer ma vie puisque les fils uniques étaient exemptés de droits et que ceux qui subissaientle sort s'en tiraient pour 100 ou 150 fr au plus. Enfin, la fameuse route qui me fit tant de maln'aurait jamais été ouverte et rien ne m'aurait contrarié Avec mon bien à moi, au contrairej'aurais pu construire tout ce qu'il m'aurait fait plaisir sans qu'il m'en eusse coût 5 Fr de plus.D'après cette énumération, on jugera quelles pertes j'ai faites et combien de maux j'ai étéobligé de d'endurer et à combien de tortures il a fallu me livrer pour me soutenir en état.Joignez y les diverses maladies qui m'ont été occasionnées par tant de malheureuxévénements, la dépense qu'il m'a fallu faire jusqu'à ce jour et vous conviendrez que personnen'accepterait de payer un semblable prix, si on lui offrait cependant rien de plus vrai de plusavéré de plus simple que ce qui est détaillé ci dessus.Je conviens que je fis une faute bien grande lorsque je me déterminai à me marier. Ou alors ileut fallu se marier avec un vieille parce qu'à l'époque cela servait d'exemption ou bien allerrejoindre les drapeaux sitôt qu'on eut supprimé les ateliers révolutionnaires, tant la salpêtrerieque la tannerie et la cordonnerie, et vendre tout ce que j'avais de placé à intérêt sur débiteursolvable à ce jour. Dans le premier cas il eut fallu me rendre à Grenoble chez un bon avocatpour y prendre un état qui aurait pu par la suite me procurer celui d'avoué prés du tribunal oude notaire ou de juge de paix ou d'huissier ou tout autre pourvu que le produit eusse suffi à menourrir et m'entretenir et que le petit revenu de mes créances resta préservé pour me donner dupain jusqu'à la fin de mes jours. Dans le second cas il eut fallu placer tout de suite mon petitavoir, en laisser partie du produit à ma feu mère ou le tout s'il lui était nécessaire, et me rendreà l'armée pour crever le cas échéant ou en revenir comme tant d'autres avec de quoi finir unpeu plus tranquillement les quelques jours que la Parque me filait.Mais en lieu de cela qui aurait pu être ainsi, il fallut que je fusse un des jouets de cette cruelleet capricieuse destinée qui se joue ainsi des misérables humains et renverse, en se divertissanten un instant, les projets les mieux concertés. Comment se résoudre à tout cela lorsqu'il n'y apas de votre faute ? Prendre patience et se montrer dédaigneux envers cette destinée qui s'estmontrée elle même aussi mauvaise envers nous ?. C'est je pense ce qu'il y a de mieux à faire.Toutes ces réflexions m'empêchent pas que j'aie toujours regardé cette faute de ma partcomme bien grande et d'où toutes les autres que j'ai pu faire par la suite ont découlénécessairement et n'auraient pas eu lieu. Si j'avais pris ou pu prendre le parti contraire, celam'aurait épargné bien des peines, des soucis et de dépenses que je n'ai pu empêcher depuis cefatal événement.Après tant de malheurs, de disgrâces, de calamités de toute espèce j'avais lieu d'attendre quema part en fut épuisée et que je passerai le reste des jours qui me restent à vivre en paix et entranquillité. Mais il était écrit que je devais boire cette fatale coupe jusqu'à la lie. Voilà qu'en1843 les héritiers du célèbre scélérat Jacques ci-devant curé de Serres qui était mort depuisplus de 25 ans et de son frère Paul Balthazar qui avait été son héritier lui aussi décédé, m'ontsoutiré la rente de la vigne que son frère curé m'avait vendue. Je n'avais plus jamais revu lecuré depuis le marché. Sitôt le décès du frère, les enfants de celui-ci procédèrent au partage dela succession. Ils étaient au nombre de cinq, dont quatre majeurs, à prétendre, mais sansapporter la preuve que la rente dont j'étais redevable avait été adjugée et était tombée dans lelot de Ferdinand qui était le mineur. Mais comme cette rente était meuble, d'après la loi on nepouvait que lui en attribuer sa portion cinquième et non la totalité. De plus, comme il n'avaitpas le titre à sa disposition et qui présumait que la 30ème année devait bientôt arriver, il mesollicita lui même par lettre afin de renouveler son titre ou, pour couper plus court, de prendreune quittance notariée afin qu'il put continuer de toucher sa rente. La loi faisant prescrire touterente qui avait passé 30 ans sans demande, la requête qu'il me fit de renouveler son titre me fitouvrir les yeux et me révéla l'atrocité que son oncle curé m'avait faite lors de la vente. Nousétions alors convenus que moyennant une rente de 100 fr. par année, il me cédait nonseulement la totalité de la vigne, mais encore toute l'indemnité à laquelle il avait droit contrele gouvernement pour le terrain que lui avait pris le tracé de la route royale n° 94. Me mettanten son lieu et place, je voulais faire mettre cette condition dans l'acte mais apparemmentd'accord avec le notaire, ils me firent entendre qu'il valait mieux que non, que lorsque cetteindemnité devrait être payée, je lui écrirai et qu'il m'enverrai alors tout pouvoir nécessaire.Moi qui savait combien on s'était trompé lorsqu'on fit l'évaluation des terrains occupés par laroute et que le dit Roman, qui était chargé de cette opération n'habitait que depuis quelquetemps le pays et ne connaissait pas bien la distinction de propriétés et qu'il avait fait porter surla tête de Félix Lombard ce qui appartenait réellement à Jacques, je n'insistais pas d'avantage,me fiant à sa parole. Lorsqu'il fut question de lui réclamer la somme qu'il avait retiré et qui nelui appartenait pas, celui-ci n'étant guère en mesure de rendre ce qu'il avait reçu, jeta de hautscris comme si je lui avais demandé une chose injuste. N'ayant aucun titre pour poursuivre, jefus obligé d'écrire à Jacques pour obtenir le pouvoir qu'il m'avait promis. Mais au lieu de tenirsa parole, il me répondit que j'avais fait un assez bon marché avec lui sans vouloir encoreexiger cela et je ne pus aller plus loin. Peut-être s'étaient-ils arrangés ensemble une fois qu'ilconnut le détenteur. Ce n'était pas une bagatelle que ces 1200 m2 de terre portée sur le tableaudes indemnités au prix de 40 centimes l'un, ce qui faisait la somme de 480 fr et les intérêts dusdepuis le paiement qui en avait été fait. La demande que me fit Ferdinand me rappela cetteatrocité et je cherchais à me venger car la rente était prescrite depuis 6 ans. J'avais toujourscontinu de payer depuis la mort du ci-devant Jacques. J'avais payé à la veuve comme tutricede son fils mineur ( mais à qui veut se venger souvent trop il en coûte). Je ne répondis rien àla demande de Ferdinand. Je cherchai tout de bon à me soustraire à tout paiement. Je fisconsulter mon acte. J'avais toutes mes quittances. Eux ne pouvaient rien m'opposer. Je niaisavoir jamais payé un centime à mon vendeur et c'était la vérité parce que je ne l'avais plusrevu. Son frère Paul qui avait toujours exigé ce paiement aurait du me faire connaître lepouvoir qu'il avait pour cela. Il n'en avait rien fait. Son fils Ferdinand encore moins et lesexperts ne pouvaient, de leur propre autorité, faire tort à un tiers mettant un meuble de 2000Fr dans le lot d'un seul, puisque que cette somme était très divisible. Enfin je fus assigné.Malheureusement je fis le choix d'un mauvais défenseur, mauvais parce qu'il était à mon insudans les intérêts de la partie adverse. Il ne prit pas la peine de faire ressortir tous les droits quej'avais. Il me fit courir deux fois à Gap en disant que mon affaire devait se juger. Mais lacause a toujours été renvoyée et finalement elle fut jugée en mon absence.Et ce fripon d'avoué - car je ne puis l'appeler autrement - un homme à qui j'avais adresséplusieurs clients, aurait pu me dire que tant lié d'amitié avec cette famille, il ne pouvait pas secharger de ma cause, et j'aurais été ailleurs. Je ne pouvais jamais perdre la totalité. Le pis-alleraurait été qu'il aurait fait réserve de la proportion du cinquième pour le mineur, ce qui auraitreprésenté encore 20 fis par année au lieu de 100. Mais la question du majeur était prescrite.Sans sa miséricorde et bien que ce malheureux avoué n'ait jamais écrit un mot de plaidoiriepour moi ou s'il l'a fait, c'était si peu de choses qu'il n'a jamais osé me le faire connaître, ouquand je fus pour m'acquitter envers lui, il me remit la liasse de papiers et me fit signer surson journal que je retirai toute mes pièces en me disant:- voilà votre affaire »Ayant mis cette lettre dans ma poche, je montai en voiture sans avoir le temps de rienexaminer et arrivé chez moi, je fus plus que surpris de ne trouver dans cette liasse que lepapier que je lui avais moi-même remis avec les lettres que je lui avais faites à ce sujet ainsiqu'une simple opposition qu'il avait faite au commandement que m'avait fait signifier le sieurJacques de lui payer sa terre. Indigné de ne trouver aucune pièce de lui pour ma défense ets'être bien faire payer et m'avoir fait signer sur son journal la rémission qu'il m'avait faite, jelui écrivis une lettre assez vertement à laquelle il ne répondit rien. Je lui demandais leplaidoyer qu'il devait avoir fait pour me défendre ou la restitution de l'argent que je lui avaisdonné, s'il n'avait rien fait et qu'il eusse à dessein de me faire perdre ma cause, qui de part sanature était imperdable. Voyant qu'il ne répondait toujours rien, je lui récrivis de nouveau. Jelui faisais sentir l'injustice de ses procédés, et combien il était peu honnête et je le sommais dem'envoyer mes pièces et du moins un acquis pour solde puisque tout était payé et que jen'avais qu'un reçu de 30 fr. d'arriéré sans trouver aucun bon moyen de défense. Il finit parm'envoyer le 5 octobre 1845 une lettre dubitative, déclarant qu'il était soldé de tout, mais depapier aucun. Ces gens en me faisant perdre ce procès m'ont fait perdre une affaire de 200 Frau moins, sans compter les frais, voyages, dépenses accessoires, honoraires, qui s'élevèrent àplus de 170 Fr 24 Fr à ma partie adverse ce qui fait 410 Fr en tout et être obligé de continuerà payer la rente : voilà encore un autre malheur.A peu près à la même époque, moi qui jamais n'avais ressenti aucune atteinte d'infirmité nirien qui put me gêner dans mes travaux, quoique âgé de 71 ans passés,- si j'avais éprouvéquelques légers dérangements de santé ce n'était lié qu'à de petites causes passagères,- eh bienvoilà que je m'aperçois que la vue de mon oeil gauche diminuait sensiblement. Que ce qu'il enrestait encore est si peu de chose que je ne peux plus compter et sous peu de temps encore jeme trouvai assailli d'une des plus affreuses maladies qui existe et des plus opiniâtres à guériret que je crois même inguérissable c'est à dire d'une dartre. Elle se déclara dans le mois defévrier 1849 à la jambe gauche à quatre pouces au-dessus de la cheville, du dedans et de lalongueur d'une pièce de 5 francs. Elle me causait une démangeaison insupportable sans quecela ne parut encore à l'extérieur. Mais un jour que je voulais entrer un fagot de bois, je meheurtai quelques pouces plus haut avec le bout d'une des branches qui composait le fagot cequi me fit une légère égratignure à la jambe qui avait peine à se récouvrir. Cette égratignures'encroûta et la croûte resta quelques jours avant de tomber. Ayant tombée, elle me laissa audessousune peau lisse et luisante ce qui forma le noyau du dartre car sous peu elle s'élargit ets'y joignit avec l'endroit qui causait tant de démangeaisons. Bientôt elle s'étendit fort au loin etse déploya partout jusqu'au cou et aux poignets. Mais les mains et le visage avaient étéexemptées. Après quelques remèdes, la fureur de la dartre se calma. Et tout semblait présagerquelle n'aurait pas de suite fâcheuse. Mais au bout de quelques mois elle reparut encore avecplus d'intensité et il fallut encore avoir recours aux remèdes palliatifs, quant à l'extirpateurc'est chose à laquelle if faut renoncer.Enfin, après avoir fait ce que les médecins m'ordonnèrent et bien d'autres qu'ils ne m'avaientpas ordonné, la maladie parut se modérer et n'être plus aussi insupportable, ni me faire autantsouffrir. Ce qui m'a plus été utile parmi les palliatifs a été les feuilles de choux que j'appliquaichaudes le soir en me couchant et ensuite leur lavage avec l'eau de Cologne. Ce traitement aduré longtemps et par intervalle je m'en sers encore pour éviter son retour. C'est uneexcellente chose que cette eau pour cette maladie et pour ce qui pourrait paraître au visage.Reste à savoir si quelque moment elle ne deviendra pas tout à coup reminiscente et peut-êtreplus mauvaise que jamais. En attendant, en drogues, remèdes, sirops ou traitements dumédecin, cette arthrite s'élève à ce jour à plus de 300 fr déboursés, indépendamment du malqu'elle m'a occasionné, supplément aux autres malheurs précédents.Quand une personne est dans le malheur de quelque côté que parte le coup il ne manque pasde le venir heurter. Ainsi, ma belle-soeur Marie Gayraud m'avait prêté depuis longtemps unesomme de 350 Fr. Elle ne cessait de me dire que cette somme me restasse après elle. Maisn'ayant fait aucun testament et sa maladie ayant été courte, et n'ayant pas été souvent la voircomme n'étant pas à portée, ne doutant pas que sa maladie fusse aussi rapide, elle décéda sansme remettre ma promesse. Aussi et malgré tout ce qu'elle m'avait dit, il me fallut payer lasomme à ses héritiers. Quant à Chabal qui lui devait 500 Fr et Girard qui ne lui était presquerien et lui devait 400 Fr, ils eurent l'adresse de retirer leur promesse lorsqu'elle devint si mal etça été tout de suite qu'elle décéda le 24 février 1848. Au diable les parents et bellespromesses: autre malheur pour moi.Mais quel diable de malheur puisse-t-il encore m'arriver? Je l'ignore.En récapitulant l'exposé détaillé ci-devant, pour borné qu'il soit, il aura été facile des'apercevoir plus d'une fois que j'ai eu malheureusement tort que de commencer mes premierstravaux. Mais il m'a été moralement impossible de les abandonner avant que tout ne futparachevé parce que faire autrement aurait été vouloir dépenser beaucoup d'argent en pureperte. Une chose découlait tout si naturellement de la précédente qu'elle semblait, comme jel'ai déjà dit, ne faire qu'une chaîne, composée de différents anneaux tous égalementindispensables. En effet, lorsque j'ai fait en 1796 la première balise dont j'ai parlé, j'aurais duincessamment supprimer un des moulins pour construire à sa place le foulon à teinture pourm'indemniser de la perte que m'avait fait éprouver la loi supprimant la banalité du moulin etaccordant à tous le pouvoir d'en construire. Depuis cette spéculation faite il me fallaitnécessairement apprendre moi même à teindre, si je pouvais profiter de produire en place d'unouvrier. A la suite de cela il me fallait mettre le seul moulin qui me restait en état de satisfairela pratique. Dans un état d'anéantissement, c'est ce que je fis en faisant faire le tour, le rouet,le chenal qui était tout hors d'état:: c'est encore ce que je fis, toujours dans l'intentiond'augmenter mes revenus. Je fis aussi confectionner le pressoir. Cela fait, je m'occupaisd'intervalle en intervalle, toujours de réparer quelque chose. Une année je faisais enlever etminer la grosse pierre qui obturait cette Blême et qui nuisait à la libre circulation des eaux etles faisait refouler en assez grande quantité depuis le fonds du moulin jusqu'au barrage de laprise du moulin. Une autre année je faisais mettre en état la maison. Une autre, je faisais fairecette belle partie du mur au nord de l'ancien bâtiment depuis l'angle en battie de colombierjusqu'au mur de la première chambre du coté levant qui avait tout croulé. Une autre année, jefaisais faire un massif de terre grasse au derrière de l'ancien barrage de la prise pour tâcher decolmater l'eau qui se perdait. Une autre année je faisais épierrer ma vigne et la nettoyer du tasde gravier dont elle était en grande partie recouverte. Une autre année je tachais de me mettreà l'abri d'une irruption nouvelle de ce maudit torrent de Blême en faisant faire des murs depierre sèches tout le long jusqu'au pont pour faire creuser l'eau et entraîner le gravier qui yavait été déposé en grande quantité. Puis toute une autre année je formais le projet d'établirune fabrique d'étoffes et j'en faisais apprendre l'état à mon fils aîné, pour parvenir plussûrement à mon but. Une autre année je faisais bâtir un local pour y placer le foulon àteinture, presse, bûcher, afin d'avoir un local propre et libre pour l'état que j'avais projeté. Jetirais parti en même temps de voûter un ancien moulin, n'ayant nul endroit propre à mettreseulement une barrique d'un demi muid et étant obligé de porter le vin utile au ménage de lacave de Serres, un flacon après l'autre et sur le dos. Une autre année je faisais construire unecuve en bois pour la vendange et plusieurs tonneaux dont j'avais besoin. Je me procuraisplusieurs vases de diverses quantités pour y placer de l'huile. Chemin faisant, d'année enannée, je nettoyais la gravière de l'emplacement du petit coin de terre d'alentour de la maison.Je la bordais de murs. Je faisais charrier de la terre pour pouvoir le mettre en culture. Je faisaisplanter des arbres et rendre autant agréable qu'il était possible le lieu qui devait être pourtoujours ma demeure. Plus tard je faisais refaire le barrage de ma prise pour tâcher de mettre àprofit l'eau qui se perdait à mon détriment. Je faisais en même temps construire le pont enmaçonnerie sur le ravin de la Buisse et tâchait d'échapper ainsi aux insultes de la nature quim'avaient déjà tant coûté. J'élevais ma famille qui était devenue nombreuse et d'entretien trèscoûteux. Voyant que la vigne par rapport à sa vieillesse ne rendait que bien peu, jecommençais en 1821 de replanter la vigne du prieuré et insensiblement celle qui est au dessusde la route et puis celle de Jaquier au dessus, tout travail très coûteux, tant pour lareprésentation, le nettoyage des pierres que pour la perte d'une douzaine d'années de récolte.Définitivement enfin et en dernière analyse, je fis faire en 1822 et 1823 le fameux travail dontj'ai ci-devant parlé et le moulin gruau, pressoir à huile, et grenier au dessus. Et maintenant quele travail est terminé et que j'ai la douce satisfaction d'avoir réussi, sans aide de personne, jesuis content, quoi qu'il m'ait beaucoup coûté et mis à la gêne.J'avais projeté des choses que si elles eussent lieu, il n'aurait pas passé de nouvelle charge degrain pour aller moudre à Serres, qui ne se rendisse chez moi. Mais l'événement de passage dela grande route a tout entravé et me mit dans l'impossibilité de ne pouvoir rien exécuter.Mon intention était de mettre l'ancien chemin qui passait à l'endroit même où se trouvent lesportes et allait du local du moulin, descendait dans le lit de la rivière puis longeait tout le longau pied des vignes jusqu'au ravin du Teyssere, de le mettre, dis-je, au devant du bâtiment etsur la digue que j'avais fait construire et qui fut emportée par l'orage du 23 juillet 1808. Par cemoyen il n'aurait passé ni chat que je l'eusse vu. Alors j'aurais descendu le mur de l'écluse quiaurait du être nécessairement réparé car il tombait de vétusté, de l'endroit où il est à troismètres de la muraille de la maison. Par ce moyen, je raccourcissais le trajet du chenal de lamoitié ayant déjà huit toises de longueur, ce qui était déjà une économie. Je pouvais par cemoyen creuser encore mon canal de plus de deux à trois mètres et en même temps je pouvaisl'élargir. Le sieur Arlaud Fournier qui était propriétaire de ce petit coin de terre qui ledominait, me le cédait à volonté alors cette écluse aurait tenu le triple au moins de ce qu'elletient maintenant; ensuite de l'autre côté du ravin, en tirant du coté le coin de vigne qu'il y avaitet qui appartenait à Arlaud Soussane. Nous avions proposé de l'échanger avec un autre quej'avais au dessus de la vigne du chapelier Lombard, ou de lui l'acheter. Je l'aurais sacrifié poury faire encore une autre écluse plus forte encore que la première que j'aurais laissé emplirdans le moment que le travail manque et une fois les écluses remplies, j'aurais pu faire jusqu'àdouze charges de grains avant de les boucher. Avec une avance semblable je n'aurais pascraint de ne pouvoir satisfaire mes clients. Alors j'aurais mis de front mes deux moulins àfarine et à la place du foulon, puis installé le gruau et le pressoir à huile Je n'avais alors besoinque d'un emplacement pour le foulon, lequel emplacement se trouvait plus de moitié fait parle mur de l'écluse et la fontaine. J'aurais pu y pratiquer sous le marche pied, un coin de caved'où on aurait pu aller de l'écurie à côté de la porte de la voûte qui est sous l'escalier. Tout celam'aurait donné mille aisances et augmenté ma production sans m'occasionner d'aussi fortesdépenses, mais j'en ai été empêché par la route.C'est cause que je ne puis exclure d'aucune manière le tort qu'elle m'a fait, sans espoir d'êtrejamais compensé pour rien.Que d'après cette esquisse, ces bavards impitoyables, ces blagueurs pervers qui ont tant débitéde choses sur mon compte, sans en donner aucune bonne raison, se taisent une fois pourtoutes et qu'ils disent entre eux et à leur honte:« A sa place nous n'en aurions jamais autant fait ! »Je reviens au fait et je dis que peut-être, il est bon qu'on ne connaisse pas ce qu'il doit résulterde ces projets que l'on ignore ce qu'il doit nous arriver. Car c'est un fait certain que si j'avaisprévu dans quelle peine et dans quelle dépense m'avait plongé ma résolution d'habiter lemoulin, je n'en aurais jamais rien fait et j'aurais préféré l'abandonner au premier qui auraitvoulu s'en charger sans en exiger un centime. Et j'aurais sûrement gagné beaucoup, car, quandbien même je me serais déterminé à me marier,- chose qu'il n'est pas bien sûre -, si je n'avaispris le premier parti, en réalisant le peu qui me restait encore, j'aurais dans le dernier cas pume caser dans quelque bonne maison où j'aurais pu vivre plus heureux, plus tranquille et avecmoins de chances malheureuses à courir. Mais de tout cela je n'en savais rien, et d'ailleurs cetétat de dépendance d'autrui que j'ai toujours détesté aurait été encore un obstacle très grandpour que je me déterminasse. Les beau père, belle mère, oncles, tantes, frères et soeurs qu'ontrouve dans certaines maisons, n'auraient pas été un petit encombre pour moi qui chérissaittant la liberté.Ai-je bien fait ? Ai-je mal fait ?. Ce sera toujours un problème à résoudre ayant été forcé parma destinée de faire ainsi sans pouvoir faire autrement. Et peut-être sans moi, il n'existeraitpas pierre sur pierre à l'emplacement du moulin de Montclus et peut être dans l'ordre deschoses est il utile que ce moulin existasse.(sic)Ainsi finit ici l'histoire de ma vie et de mes travaux. Dans le naïf récit que j'en ai fait, j'ai dit lasimple et pure vérité et je n'ai cherché à palier aucun fait pour me donner gain de cause. Aureste, pourquoi l'aurais-je fait ?. Je n'ai fait de tort à personne. J'ai satisfait et payé ceux quim'ont aidé dans mes travaux. Je n'ai rien à me reprocher. Ceux qui ne seront pas contents aureste, agiront de leur côté comme ils l'entendront, n'entendant les contredire en rien. La naturem'a fait la grâce de prolonger ma vie au delà de mes attentes - en effet, d'après tant detracasseries, de peines en tout genre, je n'aurais pas cru passer la soixantaine - et m'a donné lesmoyens d'élever mes enfants et de les mettre en état de gagner honnêtement leur vie dans lasociété. Mes désirs sont remplis. C'est de quoi je lui rends grâce et le remercie. Je leursouhaite à tous en finissant, une bonne santé, une honnête prospérité, qui les mette au dessusdu besoin et qu'ils ne les voient jamais quêter d'une maison à l'autre avec l'enseigne dumalheur, sans l'épaule de secours qui leur soit quelquefois durement refusé. Etat tant prônédans l'Evangile, mais qui avilit l'homme, le démoralise, et le rend objet de mépris. Je ne leursouhaite pas non plus de la fortune acquise par des moyens illicites, quoique beaucoup priséde certains individus qui valent moins encore pour l'homme juste et plein d'honneur que l'étatde misère que je viens de décrire plus haut.Enfin je souhaiterais pour eux cette heureuse médiocrité dont Horace faisait un si bel éloge,état qui satisfait à tous. Maintenant que la nature voudra revendiquer ses droits qu'elle a surmoi et se faire rendre ce qu'elle m'a prêté, elle le peut sans crainte de m'affliger car depuislongtemps même l'existence étant intérieurement pour moi un pesant fardeau duquel je medébarrasserais volontiers. Trop de choses ont en effet contribué à me rendre la vie amèrepour en désirer la prolongation, quoique bien des gens croient le contraire. La seule choseque je lui demanderais est d'abréger pour moi l'approche douloureuse en ne me faisantsouffrir que le moins possible. Amen.Considérations sur ma vie et mes pensées tantmorales que religieuses.Après avoir entretenu les lecteurs de ce qui s'est passé d'essentiel dans ma vie civile depuis manaissance jusqu'à ce jour, j'ai pensé qu'il ne serait pas déplacé de l'entretenir un instant de mavie morale et religieuse puisque les deux choses sont nécessairement liées ensemble etmarchent de compagnie. Pour ce dernier article je ne remonterai pas si haut. A quoi bonpuisqu'avant l'âge de raison la moralité ne compte pour rien chez presque tous les individus.Je ne partirai donc que de l'époque que les lois comptent au nombre des membres de lasociété, tant pour le bien que pour le mal, et qui vous rendent responsables de vos actions sanscaution, ce sera donc à 21 ans que je fixerai cette époque.Je dirais qu'étant né comme je l'étais avec des dispositions naturelles pour l'indépendance, j'aitoujours détesté et je déteste tout ce qui peut asservir l'humanité et la mettre sous le joug dudespotisme. Ce penchant naturel a été, il faut le dire, extrêmement secondé par lescirconstances. La Révolution française de 1789. étant éclose dans les premières années de majeunesse - puisque je n'avais que 17 ans lorsque sa foudre éclata,- j'ai sucé comme pour ainsidire avec le lait les idées de liberté et de libéralisme qui furent dans un temps prônées et misesen vogue et qu'ensuite, poussées un peu trop loin, elles ont failli nous perdre et nous replongerdans l'affreux despotisme d'où nous étions sortis qu'avec beaucoup de peine. La lecture quej'avais faite des ouvrages des immortels auteurs qui avaient le mieux écrit sur cette partie,n'avait que peu contribué à développer chez moi le goût du patriotisme et de l'indépendance.Tellement que mon illusion était telle qu'elle me faisait chérir une idole qui avait renversé lestrois quart de ma fortune et me faisait oublier mon propre bien et mon intérêt le plus cher pourne m'occuper que de ceux de mes compatriotes. Trop heureux si par la suite mes rêves sefussent réalisés en bien, mais j'ai la douleur de m'apercevoir que j'avais perdu l'un sanspouvoir voir recouvrer l'autre.Dans tout le terme le plus orageux qui succéda bientôt à la Révolution, je n'ai jamais rien faitdans le temps malheureux qui puisse me donner le moindre remords et me faire repentir uninstant d'avoir embrassé son parti avec chaleur. Je n'ai jamais dénoncé personne, ni trempédans aucune conspiration. En fait de parti et quoique fortement attaché au mien, j'ai toujourssu respecter chez les autres leurs opinions et leurs façons de penser sans vouloir lui asservir lamienne puisqu'en effet l'opinion est la propriété de chacun. Ayant été un assez long temps à latête de l'administration de ma commune, je n'ai cherché que le bien général, le mien propreayant été mis en oublie. J'ai obéi à tous les gouvernements qui se font rapidement succédés enl'espace de 30 ans et n'ai montré ni trop d'affection pour les uns, ni de haine pour les autres,mais n'en attendant d'aucun quelque changement heureux. Et en prenant l'initiative, j'ai suivila ligne tracée quoique dans le fond, j'eusse souvent désiré suivre une marche opposée. Je mesuis contenu quand j'ai vu ma patrie retombée de nouveau dans l'abîme affreux de l'esclavageet j'ai fait de tout pour qu'elle respecte les principes politiques.A l'égard du religieux depuis l'âge de vingt ans, je me suis fait une règle que j'ai tâché desuivre et que je pense suivre jusqu'au tombeau. Le premier de ce principe a été pour moi de nepas faire à autrui sans égard, ni à parti, ni à religion, que ce que je ne voudrais qu'il me fussefait et de ne pas faire seul et en secret autrement que jamais par faire en présence de témoin.Aussi, je puis dire avec vérité n'avoir jamais poussé plus loin l'honnêteté et la probité quelorsque j'étais seul, et malgré la critique à laquelle donne bien souvent lieu l'état que j'aiprofessé, je ne crois pas que personne puisse raisonnablement m'accuser de lui avoir porté lemoindre tort volontairement et avec connaissance de cause et si quelquefois une semblablechose avait eu lieu, par ignorance, ou par inadvertance, je n'ai eu aucun repos que la faute nefusse réparée.A l'égard de ma croyance religieuse, après avoir comparé toutes les sectes connues qui ontasservi les misérables humains et les ont courbé sous le joug le plus dur, je me suis aperçu quetous ces prétendus législateurs en chef de sectes n'avaient été que de monstrueux ambitieuxqui avaient voulu se faire un nom et asservir. Afin de mieux parvenir à leur fins exécrables, ilsavaient su se mettre au service de la Divinité en se disant envoyé du Très Haut, qu'il méprisaitpat leur institution bizarre, lui faisant détruire d'une main ce qu'il lui avait fait créer de l'autre,sans craindre de le mettre en contradiction avec lui-même, se disant eux mêmes inspirés etmettant en usage toutes les jongleries et pratiques les plus frauduleuses et mêmes les plusgrossières pour parvenir à leur fin exécrable, finissant toujours par se dire la seule religionraisonnable et qu'il n'y avait que leurs principes qu'y fussent vrais, que tous les autres n'étaientque des abominables et que ceux qui les suivaient seraient réprouvés, usant tous lesstratagèmes permis de l'intolérance la plus cruelle.Enfin, je les ai vu toujours se damner mutuellement, enseigner des dogmes incompréhensibleset fonder leur culte abominable, sur des rêves, sur des songes et mille autres prestiges quirévoltent également tout homme raisonnable. Mais heureusement que le voile a été levé et quede pareils jongleurs ne pourront dorénavant plus se permettre de grands succès dans leurentreprise. D'après un examen sévère à ce sujet, j'ai renoncé à ces croyances et n'ai pas vouluavoir plus à voir avec le juif et avec le chrétien qu'avec le musulman ou le bramane, necroyant voir dans les uns et les autres que des fois imbéciles, si toutefois ils ne sont demauvaise foi. La grande opération de la nature et les phénomènes extraordinaires qui arriventjournellement sous nos yeux m'ont donné l'idée qu'il pouvait y avoir un être supérieur à toutêtre, que ma faiblesse et les bornes de mon esprit ne m'ont pas permis de remonter à sonorigine pour pouvoir le connaître autrement que par les oeuvres.En effet cet être s'il existe réellement échappe à toutes les investigations humaines possibles.Alors par quel coin le saisir? Depuis quand existe-t-il ? Est-il que le produit? Sous quelleforme existe-t-il ?; Est-il l'inverse de la nature? De quelle nature est-il ? De quelle essence etespèce, de quelle couleur? Où est sa résidence habituelle,? Quelles sont ses habitudes,? Sesgoûts ? Ses passions? Peut-il communiquer ou non ? Peut-il produire son semblable commecertains sectaires nous ont voulu faire croire pour mieux attraper les dupes,? De quel sexe estil?Toutes ces questions resteront peut être à jamais sans réponses. Est-il lui ou la natureproprement dite qui a forgé le globe que nous habitons et cette foule immense qui roule s'ens'arrêter dans l'immensité de l'espace et les soleils sans nombre qui éclairent et, tous cesmilliers de mondes en globes suspendus sur nos tête sont ils habité et ces habitations ont-ellesquelque analogie avec celles de la terre? Ces êtres qui y résident ont-ils les mêmes goûts, lesmêmes caprices, les mêmes passions, les mêmes connaissances?; Sont-ils plus ou moinsparfaits, plus ou moins bons ?; Sont-ils assujettis comme nous à être de cette même espècequi, sous le titre de chefs, sont autant de petits tyrans? Ont-ils aussi le don de ces jongleursenthousiastes qui ayant cherché à les tromper ou les séduire par des prestiges ou de la séduirepar la forme telle qu'apparue chez Braman, Zoroastes de Sumer, Jésus ou Mahomet et tantd'autres qui ont mis les hommes leurs semblables dans la servitude et cherché à vivre à leurdépend et ne faisant rien eux mêmes. Ont-ils été au contraire des hommes de bien, desphilosophes, des savants ayant cherché à éclairer leurs semblables sur les maux de touteespèce qui, comme nous, les affligent et chercher des remèdes empiriques à leurs maux. Ontilsl'idée que nous existons? En un mot pensent-ils que tout restera sans solution, un problèmeinsoluble puisque jamais nous ne pourrons parvenir jusqu'à eux, ni eux jusqu'à nous. Un voilede la plus épaisse ignorance couvrira pour toujours aux yeux des hommes toutes les chosesmalgré l'envie qu'ils auraient de le percer. Peut être cet obstacle invisible est-il lui même unbien dont on balbutiera encore longtemps comme on l'a toujours fait, sans avoir aucunecertitude et l'homme qui ne sera pas infatué de vanité dira tout ce que je sais sur toutes ceschoses c'est à dire que je ne sais rien. Voilà le nec plus ultra ou tout raisonnement le plusscientifique peut nous amener. Il est donc inutile de se casser la tête sur un tel sujet . On doitplutôt chercher à jouir sans aucune crainte de ce que la sage nature nous prodigue sanss'embarrasser autrement que de faire ce qui est bien, sans égard à aucune croyance, puisquetoutes ne sont que des inventions des hommes nos semblables. Et à la fin il ne faudra s'étonnerde rien lorsqu'il faudra payer le tribu que nous devons tous à la nature, s'y soumettre sansmurmurer, vivre jusqu'à tant que possible dans une égalité qui nous attire la bienveillance desêtres avec qui nous vivons. Voilà tout le secret de la vie pour être heureux en ce monde etn'avoir rien à craindre pour l'autre. Mais malheur à qui ne saura pas le mettre en usage.Je me suis borné à honorer la nature par une bonne conduite ignorant si les sacrifices ou lesprières de l'homme pourraient quelque chose sur elle. J'ai donc négligé tous les petits moyensrecommandés par ces censeurs exécrables qui vivront toujours ainsi du produit des duperiesqu'ils ne cessent de faire aux pauvres humains et amassent sous leurs yeux de colossalesfortunes par leurs escroqueries. Je n'ai jamais cru en un mot à cet être que l'on appelle Dieu.Pour moi je serai tenté de croire, comme bon nombre de philosophes, de savants et denaturalistes, que l'homme est une production de la nature comme les plantes, les arbres, lesinsectes, les poissons. De ce fait, je ne crois pas en l'immortalité.Si au moins ce Dieu s'était occupé de tirer l'homme du néant comme nous le veut faire croirele prophète, mais il ne l'a tiré que pour le faire souffrir non seulement en ce monde, maisencore éternellement, et l'autre,- si jamais autre il y a -, Une telle conduite ne pourrait être quecelle d'un être méchant qui ne s'occuperait donc qu'à rendre l'homme malheureux, que n'ayantpu le créer meilleur, il ne l'avait pas fait et qu'il ne l'a sauvé que pour le perdre, ce qui serait lecomble de la scélératesse. Je n'ai jamais pu baser ma conduite sur de tels principes et à cetégard je n'ai suivi que la religion naturelle, la seule que tout homme bien né doive suivre. Al'égard de ma croyance sur l'immortalité de l'âme, n'ayant aucune donnée sur le sujet etd'ailleurs le système paraissait être d'une date peu éloignée et voyant que tout commençait etfinissait par le même procédé, soupçonnant même qu'il y ait une impossibilité physique à êtreimmortel, qu'il ne tenaint qu'au caprice du premier malotru à vouloir faire à volonté un êtreimmortel pour le rendre misérable, je n'ai pas fait de ce système partie de ma croyance. J'aitâché seulement à faire par mon action, que ma pensée ne fusse punie, si toutefois elle survit àmon corps mais n'espérant pas pour elle une bien grande récompense, ni ne craignant non plusaucun châtiment à ce sujet. Telle a été ma façon de penser et d'agir que cette matière, dansl'incertitude ou j'étais. Si j'ai tord ou raison je n'ai pas songé à faire de prosélytes,ni à amenerbeaucoup de mes semblables à penser de cette manière. comme moi. Au contraire dans biendes occasions, j'ai fait semblant de penser tout autrement que je pensais. En effet ne voulantpas être pour le faible ignorant, un sujet de scandale, je n'ai pas cru annoncer la règle que j'aisuivi en fait de religion et que je prétend suivre le terme qui me reste encore à vivre. Je ne lesgarantie pas comme la seule sage utile et raisonnable et n'ai pas le sot orgueil de ce fou mitréqui siège à Rome de me dire infaillible, quoi qu'il faillisse cent fois par jour. Ce termed'infaillibilité doit être désormais supprimé du dictionnaire de gens de bon sens, car toutes sesactions démentent ce qu'il ose si vainement avouer. Tous pétris du même limon, nouscommençons et finissons tous les uns et les autres par le même procédé et si dans le cours dela vie il y a certaines choses qui semblent mettre quelque différence entre les individus, on nedoit pas l'attribuer à une nature différente d'individu à individu, mais à des circonstances ou àl'éducation qu'on peut avoir reçu et profité, l'un par rapport à l'autre. Dans le fonds nous nesommes tous qu'un changement général de combinaisons et un enchaînement nonininterrompu de causes à effets desquels nous ne pouvons rendre raison.Note sur la manière dont l'on se trouve gouverné dans le monde que noushabitons et qu'on dit être le meilleur du monde.Depuis longtemps les hommes ont agité la question de savoir si une fatale destinée gouvernela chose de ce bas-monde ou si une divinité bienfaisante s'en mêle et y préside, mais leproblème n'a jamais été et je pense qu'il ne sera jamais résolu. Il existe des motifs assez gravespour l'un comme pour l'autre système. En faveur de la première explication on peut dire quetout semble livré au caprice d'un aveugle destin puisqu'on s'aperçoit généralement des écartsque permet une divinité qu'on devrait appeler bienfaisance et qui néanmoins semble s'attacherde préférence aux malheurs de l'homme, ou faire valoir et protéger même les entreprisesaudacieuses du méchant. Des calamités les plus effroyables, des pestes, de volcans, detremblements de terre, des pertes, des disgrâces inopinées viennent fondre tout à coup sur lesmalheureux habitants de ce globe. et toujours de préférence sur l'homme juste tandis que lebonheur, la réussite la plus brillante, les succès le plus inespérés couronnent la fragile etl'entreprise audacieuse et même très injuste du perfide coupable. Ajoutez à tous ces maux lesinjustices tyranniques des gouvernements tant civils que religieux sous lesquels vivent 99%des peuples et vous aurez une idée de leur prétendu bonheur. Tout ceci faisait convenirpresque unanimement que le mal est sur la terre. Ainsi est née la secte des pessimistes.D'autre part on peut dire que l'abondance de toutes les choses qui sont utiles aux hommes, quel'industrie dont la nature les a pourvu, que le malheur auxquels parfois ils échappent, que leplaisir qu'ils goûtent par intervalle sont de vrais biens et des présents que nous ont fait ladivinité pour compenser le malheur d'une fatale destinée et non consolée d'être. Nombreuxceux qui, à la suite de Platon ont conclu, que nous habitions le meilleur des mondes possibles.Ce qui a créé la secte des optimistes. Mais si cela était ainsi cette manière de raisonner medonnerait une bien triste idée des autres mondes car d'après le sentiment d'un grand nombre dephilosophes, de savants de premier ordre, de physiciens, de naturalistes, il est à présumer quetoute cette immensité de globes divers qui roulent au-dessus de nos têtes sont habités etpeuplés d'êtres vivants, quoique nous ne puissions nous former aucune idée raisonnable surleur vraie nature . Car à quoi aurait tendu le projet de peupler l'immensité de tous ces globess'il n'y existait rien ni personne pour en admirer les merveilles? Ce serait été un projet inutileet bizarre.Quant à moi, j'aperçois peu de bien sur la terre que nous habitons et beaucoup de mal, n'endéplaise à Messieurs les optimistes et je pense que pour réussi ici à faire tourner la fortune deson côté, l'homme qui ne craint pas la critique et qui est plein de délicatesse et de sentiments,n'a qu'à de se comporter de manière à échapper tout juste à la main du bourreau et de tellemanière que tout aille pour le mieux pourvu qu'il parvienne à l'opulence. Il se trouveratoujours des flatteurs pour louer sa conduite toute infâme qu'elle puisse être et des adulateurspour le disculper à l'occasion et abaisser les vertus de l'homme juste et même le faire mépriser, chose dont j'ai été maintes et maintes fois le témoin et que j'ai même éprouvépersonnellement. D'où je conclus que le mal est sur la terre car après tout le néant ne demanderien ni n'a jamais rien demandé. Si une divinité s'était avisée une fois de créer l'animalraisonnable appelle homme comme le prétendent et veulent nous le faire croire plusieursromanciers et vendeurs d'illusion, elle n'aurait pu en faisant cela qu'avoir l'intention de lerendre heureux. Car autrement ce serait une idée non seulement extravagante mais mêmeperfide, que de vouloir de sang-froid et pour le seul plaisir de s'amuser, concevoir desmalheureux ainsi que leur postérité. Cependant d'après ce que nous en voyons nous nepouvons prédire que l'homme jouisse du bonheur auquel il paraissait être appelé puisque nousle voyons au contraire accablé sous mille espèces de malheur. Pressez mille personnes de tousles âges et de toutes les conditions, interrogez-les surleur état présent et demandez-leur s'ils sont vraiment heureux. Si tous veulent bien dire lavérité et parler franchement, vous aurez peine à en trouver un seul qui soit satisfait de sonsort, - et encore le moment d'après il aura lieu de changer de langage et convenir qu'il s'étaittrop aventuré -, d'avoir dit avoir été heureuse du moment;. Mais une chose de laquelle on nepeut disconvenir c'est celle de dire que les doses de malheur ne sont pas égales pour tous lesindividus. Les uns souffrent beaucoup plus que les autres et on ignore pour quel motif cela estainsi. Si une facilité aveugle ne gouverne pas cela qu'est ce donc que cette divinité capricieuseet malfaisante qui, sans nécessité, se fait un jeu d'affliger ainsi l'homme que quelques bavardsse sont plus à appeler « son plus bel ouvrage ». Je l'ignore et eux n'en savent pas davantage etcette classe d'homme qui se disent capable d'interpréter les actions et les volontés de ladivinité et à qui il n'appartient qu'à eux de savoir et même pouvoir diriger les actions de leurDieu, quand on les interroge là-dessus, s'échappent et se dispensent de répondre ou nousdisent que tout cela est pour nous des mystères et que nous devons nous soumettre sansmurmure aux volontés de la Providence, c'est à dire de leur Dieu. Mais si ce sont des mystèrespour nous, il doit en être de même pour eux car, dans la généralité, nous en trouvons qui sontdes ignares et auxquels, quoi que bien méchants le prétendu Royaume du Ciel doit leurappartenir de plein droit. D'ailleurs, si la divinité s'est choisie elle-même de tels ministres pourinterprètes de leur action, on ne peut disconvenir quelle a fait un bien triste choix. Ce quiaugurerait mal de sa prescience suprême. Aussi je pense que la solution de ce problèmeéchappera toujours dans l'avenir, comme il a fait par le passé, à la perspicacité et àl'investigation des hommes les plus instruits, les plus savant et les plus favorisés par la nature.Maintenant quelle que soit la réponse et quel qu'en soit le moteur, je n'irai pas me casser latête pour faire cette découverte. Je tacherai seulement de me conduire pour l'avenir qui mereste encore à courir, comme je l'ai fait pour le passé, sans trop m'embarrasser de savoir s'il ya des récompenses à espérer ou des châtiments à craindre. Ainsi nous devrions habiter dans lemonde idéal au sortir de celui que nous habitons réellement d'après le dire du jongleur quecette croyance fait vivre dans la mollesse, la somptuosité, le luxe, la bombance de tout, à notredépends ne s'occupant souvent que du, mal ou d'amasser des fortunes trop souvent iniquespour leur parent ou le fruit clandestin de leur indigne conduite, drôles qui n'ont jamaisréellement cru un seul mot de ce qui nous débite et qui veulent même nous forcer de croire etpour laquelle ils ont tant fait de victimes et qu'ils le feraient encore si l'occasion et lescirconstances étaient favorables leurs voeux, chose qui est poussée à priori par leur conduite,qui est en tout en contradiction avec leur discours et l'inverse de laquelle devrait être. Quant àmoi, il, m'importe seulement de n'être pas en contradiction avec moi même et n'être pas obligéd'éprouver les reproches qu'une conscience sévère ne manquerait pas de me poursuivrepartout et être mon bourreau, si je faisais tant que de m'écarter de la droite voie. Je n'irai pointchercher à découvrir si le monde est éternel ou produit fortuitement, s'il y a eu un créateur etd'ou ce créateur était sorti, puisque rien ne se fait de rien, ou avait-il pris la matière?, si cetêtre auquel on a donné le nom de Dieu et que l'on ne peut comparer à rien de ce que nousconnaissons et qui tombera sous son sens, a toujours existé, ou même s'il est vrai qu'il aitjamais existé. Car que peut-on imaginer sur un être tel que quantité de bavards le dépeignentêtre, qui n'a, selon eux ni tête ni pieds, qu'on dit être un esprit chose qu'on peut comprendre dequelle manière qu'on l'imagine et cependant dont on fait l'auteur de toute chose et auquel onfait faire mille et mille sottises qui ne seraient pas même pardonnables à la moindre descréatures qui existent, à qui on fait prendre parti dans tous les troubles, les malheurs quiarrivent sur la malheureuse terre que nous habitons, à qui on lui fait livrer plus de 99centièmes du malheur, de l'adversité et des maux insupportables, lui qui veut qu'on soitl'auteur de tous les biens, lui à qui on attribut toutes les choses qui arrivent tant bonnes quemauvaises sans s'embarrasser des contradictions palpables dans laquelle elles tombent, .unêtre esprit qui peut produire son semblable, qui seul il peut se diviser en trois, qu'une partiepeut s'humaniser et s'engendrer dans le sein d'une prétendue vierge Marie, dont le rejeton doitvivre comme les autres humains et mourir d'une manière très cruelle pour ne produire aucuneffet hors celui de faire verser beaucoup de sang pour soutenir son système et brouiller àjamais les hommes les uns contre les autres par des mots absurdes qu'on ne comprendrajamais et qu'il faudra néanmoins que tous ceux qui n'auront pas suivi sa voie soient damnéséternellement ! Des choses aussi révoltantes ne peuvent venir d'un être qui, s'il existait tout demême ne devrait être que le père commun de toutes les espèces d'hommes qui existent sansleur aveu et qui auraient droit d'attendre de lui le bonheur en ce monde et une parfaitetranquillité en l'autre, si toutefois un autre il y a. Faut-il en vrai que les hommes qui ont vouluexpliquer l'inexplicable sont tous tombés dans des absurdités sans nombres et si pitoyables... !Dans l'exposé qui précède en fait de morale et de religion, j'ai dit naïvement ma façon depenser comme je l'avais dit dans l'exposé de ma vie civile. Je prie ceux qui le liront de ne passe scandaliser si toutefois ils ne le trouvent pas à leur goût. Car je le répète. C'est une méthodede principe que je me suis fait pour mon usage et non pour celui d'autrui, n'étant pas fâché quechacun jouisse du même droit à cet égard et suivre en cela sa façon de penser sans s'astreindreà la mienne. Après un semblable aveu je ne crois pas qu'aucun puisse me traiter de mauvaisefoi, ni me chercher à me dénigrer aux yeux du crédule vulgaire en tournant d'un air de mépriset par dérision mes principes.Je termine ici cette esquisse, en disant pour ainsi dire adieu au monde et aux êtres quil'habitent.Ecrit à Montclus dans le courant d'août de l'année mille huit cent trente huit, marchant à pasde géant dans ma septantième année.Signé: Jean Antoine Dupoux, père.