lundi 27 novembre 2006

LE GLISSEMENT DE TERRAIN EN 1994

Commune de Montclus, Hautes-Alpes (Janvier 1994) Au cours de l'hiver 1994, se sont produites des précipitations particulièrement abondantes. Elles ont occasionné, lors des pluies orageuses de la nuit du six au sept janvier, une série de catastrophes naturelles : - crue sur l’Aygues, sur le Buëch et un grand nombre de ses affluents, comme la Blême, le Drouzet, l’Abéoux) ; - mais aussi des glissements de terrain spectaculaires comme à Veynes, autour de Châteauneuf d’Oze, et au Champ du Meunier sur la commune de Montclus. L'examen du glissement de terrain du Champ du Meunier semble un bon exemple des problèmes posés par ce type de calamité naturelle en milieu de montagnes provençales subméditerranéennes. En effet, il présente d'indéniables caractères exceptionnels liés aux circonstances un peu paroxysmiques de la situation climatique. Toutefois, il permet aussi de se poser la question de l'évolution des campagnes de nos régions : l'abandon de l'agriculture et de l'entretien minutieux des champs, même situés en pente forte, ainsi que la perte de la connaissance ancestrale du milieu naturel, ne sont-ils pas une source irresponsable du caractère catastrophique des soubresauts qui agitent les milieux naturels de notre région ? Les faits : Dans la nuit du six au sept janvier 1994, se sont produites des précipitations très abondantes. Des records ont, semble-t-il, été battus : à Veynes, le pluviomètre de la DDE a enregistré 146 mm. Ces pluies importantes sont rendues responsables du déclenchement d’un grand nombre de désastres naturels. Le rapport de gendarmerie de Serres fait état de ces événements : « l'accumulation importante des eaux en des endroits bien localisés à provoqué des inondations, des glissements de terrain et des ruptures de voies de circulation ». Le glissement de terrain s'est produit le huit janvier : la gendarmerie a été appelée pour constater les dégâts : - fissures sur le terrain, - glissements de terrain ayant envahi la chaussée et isolant de ce fait le hameau du Champ du Meunier, situé sur la commune de Montclus. - fissures sur les habitations du hameau et en arrière, témoignant de l'imminence d'un risque probable. Pour cette raison le hameau a été évacué (soit 12 personnes et 10 habitations), pour une durée de 10 jours. Depuis, des témoins ont été placés et des expertises ont été effectuées par divers organismes comme la RTM (service de restauration des terrains en montagne, dépendant de l’ONF) et une étude a été commandée par la commune de Montclus au laboratoire géotechnique Pierre Rostan de Gap. Le site est donc surveillé et visité. Il ne semble pas qu'il y ait eu une réactivation du mouvement depuis l'épisode pluvio-orageux du six au sept janvier 1994.

Le glissement, un mécanisme complexe Le glissement s’est produit sur le dos de la couche des calcaires barrémiens disposés en dents parallèles inclinés selon une direction N 220 – 210 en moyenne bien que les bancs semblent se relever vers le flanc est du versant, donnant localement un épandage incliné vers la direction N 240 -- 250, donnant un aspect un peu incurvé à l'ensemble de la formation. Le pendant a une valeur de 25° en moyenne car, en réalité, il y a une succession d'ondulations avec variations d'épandage de section de 7/8 mètres inclinés à 26/27° et de pseudo-replats à 24°(voir figure 1). Les bancs sont minces(15 à 20 cm) ; ils sont fissurés dans le sens longitudinal et transversalement. Les bancs calcaires vaseux sont incompétents avec des figures de plissement ou de glissement synsédimentaires évidente sur les flancs ou en cours le long de la route. Ces bancs calcaires sont donc intensément fissurés ils sont parfois séparés par des intercalations de lits marneux. Les bancs calcaires en place sont recouverts d'une formation de pente qui est constituée de colluvions résultant de l'altération et du broyage des calcaires marneux en surface. Cette formation de pentes résulte aussi sans doute d'un ancien bourrelet de glissement n'ayant jamais fonctionné de mémoire d'homme (témoignages recueilli sur place). Vue de face, c'est-à-dire vers le nord, le versant se présente selon un ensemble à forme dissymétrique : - la partie est à proximité de l'entrée du hameau est constituée d'un versant de forme presque rectiligne selon une pente d'environ 20°, prenant un aspect de plus en plus convexe en approchant du talweg. La roche en place n'est pas très éloignée de la surface et la formation superficielle sur laquelle est installé le hameau n'est donc pas très épaisse ; - la partie la plus à l'ouest et de forme plus convexe est aussi plus complexe : il y a une succession de bourrelets qui se succèdent d'amont en aval, des affleurements des bancs calcaires vers le ruisseau. On peut interpréter ce glissement comme ayant fonctionné de manière dissymétrique : commandées par la pente d'épandage des calcaires , les formations superficielles triturées résultant du broyage des calcaires vaseux ont glissé vers le coin sud-ouest selon l'orientation générale N 210 - 220 mêlées avec une légère déviation vers N 240 - 250 impliquant une sur accumulation des eaux et des formations superficielles et donc une plus grande ampleur du glissement vers cet angle sud-ouest Pour comprendre ce glissement, un essai d'explication : Des pluies apparemment abondantes se sont abattues dans nos régions au cours d'un épisode pluvio-orageux lors de la nuit du six au sept janvier 1994, ce qui est une précipitation non catastrophique dans nos régions subméditerranéennes. Mais il est vraisemblable que la trajectoire de l'orage du six au sept janvier 1994 a provoqué des précipitations encore plus abondantes sur la commune de Montclus.. Localement, les témoignages évoquent une journée du six janvier avec des pluies drues et continues. Toutefois, même si l'on estime qu'il a pu tomber plus du double de ce qui s'est abattu à Serres, à Veynes, il est tombé près de 150 mm, on est tout de même loin des pluies diluviennes de Nîmes ou de celle de l’Ouvèze qui, avec 300mm de hauteur, avait entraîné la catastrophe de Vaison-la-Romaine. L'intensité et la fréquence de cet épisode pluvieux nécessite une étude climatique approfondie, mais semble avoir une période de retour décennale pour 24 heures et peut-être cinquantenaire si l'on réduit le maximum de précipitation à quelques heures 12,6 ou moins. C'est pluies, pour importantes, ne paraissent pas exceptionnelles et ne semble pas être seules responsables du glissement de terrain. Il faut aussi prendre en compte la totalité de l'épisode pluvieux de l'automne 1993 et du début de l'hiver 1994. Les précipitations totales cumulées du mois d'août 1993 à janvier 1994 ont atteint 583,6 mm à Serres pour un total inférieur à 300 mm (le total annuel moyen est de 790 mm à Serres). Il est donc tombé les trois-quarts des pluies annuelles en une période pendant laquelle il en tombe habituellement 38 %. Là encore, pour remarquables que puissent apparaître ces totaux pluviométriques, il ne présentent pas un déficit caractérisé : les années 1989 à 1992 sont particulièrement sèches (là encore le dépouillement des données climatiques serait très intéressant). Dans ce contexte, le déficit hydrique a affecté les nappes en profondeur. Le dessèchement s'est propagé dans les pores des roches, provoquant des fentes de déssication importantes facilement exploitées par les eaux pluviales plus abondantes de cette année. Le broyage accompli par les alternances d’humectation et de déssication à fragilisé les roches. L'ouverture des fentes de déssication, des fissures et des porosités a donc permis une plus ample pénétration de l'eau. Si l'on résume un peu l'ensemble des facteurs, il faut considérer que les pluies n'ont pas eu l'inefficacité de ruissellement importante, sauf peut-être sur certains secteurs de la commune de Montclus ayant entraîné la crue de la Blême .En effet, en milieu méditerranéen, les eaux des pluies intenses comme celles qui se sont produites à Nîmes ou à Vaison-la-Romaine saturent rapidement les sols et ruissellent plus qu'elles ne s'infiltrent, provoquant des crues et des inondations. En revanche, dans le cas des phénomènes qui ont affecté les pays du Buëch lors de l'épisode paroxysmique de janvier 1994, l'action cumulée et durable des précipitations à favorisé une profonde filtration, augmentée par l'effet des années sèches, et le développement de nombreux glissements de terrain comme celui du Champ du Meunier. Ce mouvement de terrain a menacé -et menace toujours- un hameau de 10 habitations. Le versant affecté est un ancien terrain agricole : on trouve encore les traces d'un canal qui drainait les eaux de ruissellement en provenance de la partie amont du versant. On peut donc aussi s'interroger sur le rôle de la déprise rurale, en particulier sur les conséquences de l'abandon de ces pratiques ancestrales qui avaient sans doute pour vocation de lutter contre les risques naturels. Sur le hameau du Champ du Meunier, une seule personne se souvient de l'existence de ce canal. Il y a perte de la mémoire collective, disparition des connaissances expérimentales de la nature et de ses comportements ainsi que des moyens de la contrôler, connaissances acquises à travers les âges et transmises de générations en générations jusqu'aux environs de la moitié du XXe siècle. La gestion du patrimoine concerne évidemment les vieilles pierres... Celles des pays du Buëch sont peu nombreuses et moins bien réputées que celles des châteaux cathares ou des églises romanes de Bourgogne. A côté d'elles, nous avons un autre patrimoine, immense et utile à préserver : il s'agit de celui de la connaissance des milieux naturels et de celui des savoir faire concernant l'aménagement de ces milieux naturels. En un mot ne doit-on arriver à payer des paysans fonctionnaires, qui participeraient à un grand service public de l'entretien des paysages ruraux ? Confrontés à des crises comme ces catastrophes naturelles, il faut bien s'interroger sur la nécessité de rétablir une autre façon de considérer les rapports de nos sociétés avec les campagnes et leur environnement. Les logiques de l'économie productiviste et de rentabilité s'opposent, à court terme, à celles de la gestion du patrimoine et de l'entretien du paysage... ; à moyen ou à long terme, cela entre aussi dans une certaine forme de rentabilité, puisqu'entretenir des paysages ruraux revient sans doute à protéger des ressources potentielles.

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