lundi 27 novembre 2006

LES COMBATS DE MONTCLUS JUIN 1944

En Juin 1944, Gap est occupé par le 217ème bataillon allemand de grenadiers de réserve(2). Le 9 Juin, les résistants occupent Montclus et s’installent aux gorges, sur la N 94, à deux kilomètres de Serres. Le 11 Juin, une automobile ennemie occupée par un officer et un soldat pénètre dans le dispositif : Elle est capturée près de Nyons, à Vinsobres (Drôme), par le chef Martin, les gendarmes Schmitter et Lambert. Les maquisards font sauter le premier ponceau entre la carrière et Montclus. Les Allemands pensent que Gap devient une souricière. Ils veulent maintenir leurs communications avec la vallée du Rhône par Nyons. Combat du 19 juin 1944 Le 19 iuin 1944, la compagnie F.T.P.F. (5) cantonnée dans Montclus, commandée par le chef Martin, est avertie qu'une colonne ennemie, ayant traversé Laragne, remonte la vallée du Buëch. Alerte ! Chacun rejoint son poste. Au défilé de la Blême, sur les rochers, soixante Français attendent. Une dizaine d'autres surveillent le passage entre Méreuil et Montclus. Un fusil-mitrailleur français est en batterie à droite de la Blême, à gauche, une mitrailleuse de 7,62 U.S. et deux mortiers de 40 mm. La mitrailleuse prend en enfilade la route des gorges au contour de Saint-Jean. Du même côté, en surplomb du torrent, une plate- forme pour grenadiers a été établie. Bien lancées, les bombes peuvent atteindre la route à proximité du monument actuel. A 17 heures, le convoi apparaît derrière la gare. Deux cent cinquante Allemands arrivent à Serres. Outre les voitures de l'armée allemande, trois autocars (Pellegrin), quatre camions Nestlé Comptoir (les Alises, Tuilerie de Fontreyne, Entreprise Faudon. trois automobiles Marbrerie Roux, Ville de Gap, Eaux et Forêts) ont été réquisitionnés. La plupart des véhicules requis restent à Serres, gardés par une cinquantaine d'Allemands. A 17h30, une auto-mitrailleuse dépasse le contour Saint-Jean et s'arrête. L'ennemi examine les crêtes dominant la gorge. L'auto-mitrailleuse envoie une courte rafale sur nos positions. Quelques minutes après elle repart accompagnée de soldats à pied, le fusil ou la mitraillette à la main. Le chef Martin interdit de riposter. Le tir commencera après l'explosion des " gammons » (6), lorsque l'auto-mitrailleuse sera dans le défilé au-dessous des grenadiers. A hauteur de la scierie Reynaud, les Allemands s'arrêtent, observent. L'auto-mitrailleuse tire plusieurs rafales sur nos positions. N'obtenant aucune réaction, l'ennemi inspecte les ponts et lance une fusée verte. Peu après deux canons à traction automobile accompagnés de leurs caissons de munitions, une voiture d'officiers, une autre de la Gestapo, suivies de camions, débouchent du contour Saint-Jean. Cette colonne rejoint l'auto-mitrailleuse. Les soldats remontent sur les camions et l'ennemi s'engage finalement dans la gorge. Soudain deux violentes explosions. Nos gammons éclatent, notre mitrailleuse et notre fusil-mitrailleur tirent. La fusillade est vive. Les Allemands, surpris, cherchent un abri, reculent. Ils grimpent aux pentes d'où nous les visons, mettent leurs armes collectives en action. Nous les réduisons au silence avec nos deux mortiers de 40 mm. Une mitrailleuse ennemie, bien abritée derrière un mur du moulin, se fait entendre longtemps. Les Allemands essaient opiniâtrement de passer... Une accalmie se produit. Les maquisards aperçoivent dans le défilé trois automobiles abandonnées. La première tracte un canon, la deuxième un fourgon à munitions. Cinq maquisards descendent. Chemin faisant, ils font trois prisonniers. Protégés par les chefs Martin et Marcel, Pradine, Moissiard et Langlois atteignent la première voiture. Ils redressent le canon couché par une explosion. Au même instant l'auto-mitrailleuse revient et tire sur eux. Moissiard s'empare de la traction, emmène le canon de 37 mm. Pradine saute dans le torrent. Une rafale de mitraillette, tirée à quelques mètres, le blesse au front et à la jambe. Vers 21 heures, les Allemands se replient. A balles traçantes notre mitrailleuse leur interdit l'approche des véhicules arrêtés entre la scierie Reynaud et le contour Saint-Jean. Le calme se fait avec la nuit. Nous n'avons heureusement qu'un seul blessé. L'ennemi, battu, a abandonné son matériel. Combat du 20 juin 1944 A l'aube du 20 juin, nous nous emparons d'un autre canon de 37 mm, de deux mortiers de 81 mm, de caissons de munitions, de trois mitrailleuses légères MG, de dix-huit fusils Mauser, de grenades à manche, de munitions diverses et de trois véhicules. Sept ont été détruits. Une traction-avant de la Gestapo, criblée de balles, contenait vingt paires de menottes. Ces « messieurs » pensaient à nous ! Nuettgens, chef de la Gestapo des Hautes-Alpes, avait été blessé (7). La rafle s'avérait impossible... Et c'était nous qui faisions quinze prisonniers dont plusieurs S.S.- Poucet à lui seul en a capturé sept. Pendant la nuit nous avons demandé du renfort. Une section du Guet de Jonchères (Drôme) arrive vers 10 heures et monte à son poste. Elle essuie immédiatement le feu de l'ennemi qui a occupé le passage de Saumane. Le combat reprend. Les Allemands ont reçu des renforts(8). Utilisant le passage, ils se déploient et s'emparent progressivement des crêtes au nord de la Blême. Nous subissons un violent tir de mortier. Un coup au but réduit au silence un mortier de 81 mm servi par Henri Bertrand qui reçoit trois éclats. Nous devons évacuer notre position principale, à gauche du défilé, emportant notre camarade blessé. Jusqu'au soir nous luttons à quatre-vingt-dix contre cinq cents ennemis (9). Les Allemands incendient la scierie Reynaud. Devant la menace d'encerclement qui se précise, nous décrochons à la tombée de la nuit. L'incendie du 21 juin Il n'y a pas de combat à Montclus le troisième jour, et les Allemands descendent lentement vers le village. Dès le lundi soir, une partie de ses habitants l'a abandonné pour se mettre à l'abri à La Combe ou au Champ du Meunier. De très bonne heure ce jour-là, vers 5 heures, quelques habitants reviennent dans l'espoir de préserver leurs habitations (10). Ils aperçoivent les Allemands qui arrivent en fouillant les environs. Entrés dans Montclus, les soldat les rassemblent et les gardent prisonniers sur la place. Sous leurs yeux, les maisons sont pillées. Des camions emportent le butin. Vers 11 heures, un officier allemand avertit les Français qu'il a l'ordre d'incendier le village. Il leur accorde une heure pour sauver ce qu'ils peuvent. Des soldats les accompagnent dans leurs maisons. Le groupe qui fouille l'immeuble de Joachim Rouit trouve dans la grange des munitions, des grenades. Un soldat ordonne à Rouit de se mettre au mur. Rouit s'enfuit; le soldat lire et le blesse à la cuisse. Un officier intervient. On fait transporter Mr Rouit à l'hôpital. L'heure passée, les Français reçoivent l'ordre de descendre au bas du champ, près du torrent. Le village est incendié. Vers midi, laissant leurs affaires dans le pré, les habitants de Montclus peuvent partir. Ils se réfugient au hameau de La Combe pendant quatre ou cinq jours jusqu'au départ des Allemands. La poursuite Pendant que brûlait Montclus, un convoi s'enfonçait dans le Rosannais : les Allemands gardaient en effet l'espoir de récupérer leurs canons et leurs voitures. Ils patrouillent à L'Epine et blessent un jeune garçon qui, les voyant, s'est enfui. A Moydans, un accrochage arrête les Allemands pendant une heure. A Verclause, le vendredi 23 Juin, les maquisards attendent à nouveau le convoi. La fusillade dure plusieurs heures. Deux avions apparaissent (11). Stukas ! Stukas ! crient les Allemands réconfortés. En signalisation, les soldats ennemis étendent un drap. Un avion plonge, lâche une rafale de mitrailleuse et étend une demi-douzaine d'Allemands. Le second, comme le premier, crache sur eux une averse de balles. La colonne reste deux jours à Verclause avant de poursuivre sa route par Rémuzat, La Motte-Chalançon, La Charce. Quelques patrouilles poussent une pointe sur Sainte-Marie de Rosans et Bruis. Le 25 juin, la colonne atteint Bellegarde vers 10 h. Trois peupliers fraîchement abattus lui ont barré la route. Pour se venger, l'ennemi pille Bellegarde où il reste deux jours. Les Allemands poussèrent jusque dans le Diois avant de regagner Gap bredouilles; ils ne retrouvèrent en effet ni leurs armes, ni leurs véhicules, ni leurs prisonniers. Pertes allemandes Quelles étaient leurs pertes ? A Serres et à Veynes il nous a été dit que des camions ont été vus avec des cadavres mal dissimulés. Nous avons interrogé des chauffeurs français du convoi (12). Ils étaient, nous semble- t-il, assez bien placés pour savoir. Pendant les combats, ils s'abritaient des balles, mais, après, ils s'intéressaient aux pertes, malgré le souci marqué des Allemands de les leur cacher. Ils comptaient les places vides dans les voitures et totalisaient. - « Ça faisait, dit l'un d'eux, l'effectif de deux cars au moins ». - « Entre cinquante et quatre-vingts », dit un autre. Les deux estimations se rejoignent pour les soldats hors de combat : tués, blessés, prisonniers. Quinze soldats se sont rendus aux maquisards. Un grand car, conduit par un Allemand, a transporté des blessés à Gap. Où et quand les soldats tués ont-ils été enterrés ? Nous avouons ne pas être parvenus à savoir d'une manière certaine le chiffre exact des pertes allemandes. Si les Allemands ont voulu en dispersant leurs morts (13) tromper sur le chiffre de leurs pertes, ils y ont assez bien réussi. Le temps passe, les souvenirs s'estompent, les témoins disparaissent... Nous estimons utile de publier ce travail commun. Marcel BOURCET et Richard DUCHAMBLO. NOTES (1) Nous remercions tous ceux qui nous ont donné leur concours. Devant l'impossibilité de citer tous les noms, nous mentionnons pourtant le capitaine André Martin et le journaliste Marcel Barès. (2) Du 1er juin au 20 août 1944 l'effectif de ce bataillon a varié plusieurs fois entre 800 et 600 soldats. (3) Monsieur Germain Félix, alias commandant Morvan dans la Résistance, a été décoré de la Croix de Chevalier du Mérite Combattant (octobre 1959). (4) « Le jour J » - en Provence comme en Normandie - ne constituait à l'origine qu'une seule et même bataille : celle de l'invasion de la France pour la conquête de l'Europe asservie par Hitler. Si les deux assauts durent par la suite être dissociés, c'est parce que le nombre des péniches de débarquement dont disposait le général Eisenhower - et spécialement les chalands transportant les chars -se révéla finalement insuffisant. Il fallut donc attendre soixante dix jours, après le 11 juin, pour que fut déclenché le débarquement sur les côtes de Provence » Le débarquement (le Provence, 15 août 1944, Jacques Robichon). (5) F.T.P.F. = Francs-Tireurs et Partisans Français. (6) Gemmons = bombes au plastic, chargées chacune à 1.250 grammes de dynamite gomme. (7) C'est à la suite de ce combat que « l'Untersturmführer » Nuettgens a quitté les Hautes-Alpes. (8) Ces renforts arrivent de Gap. Le 13 juin 1944 les Allemands, partis de Grenoble, ont attaqué le Vercors. Ils ont été repoussés à Saint-Nizier. Mais le 15 juin, revenus en force, avec de l'artillerie, ils ont progressé jusqu'aux abords de Villard de Lans. Le 24 juin 1944, une colonne allemande est contrainte au repli dans les gorges le Saint-Gervais-Rovon. Entre le Col de Lus-la-Croix-Haute et La Faurie, le lieutenant Céard (chef du secteur D) ne signale aucun convoi ennemi les 19 et 20 juin 1944. (9) On peut estimer que trois cents allemands manœuvrent pour déborder la résistance, deux cents occupent Serres et en interdisent les accès. (10) Ce sont Messieurs Robert Bégou, Achille Lombard, Achille Moulin, Joachim Rouit, Joseph Serres, Henri Vivet; Mesdames Fanny Isnard et Marie Richaud. Les immeubles : Emile Arlaud, Fanny Isnard, Achille Lombard, Achille Moulin, Adrien Reynaud, Joachim Rouit, l'Ecole ont été détruits et ceux de Thomas Martin, Reybert, gravement endommagés le 21 juin 1944. (11) Ces avions allemands venaient de l'aérodrome de Chabeuil, près de Valence. (12) Il y avait Allemand (dit Lolo), Bonnafous, Burle, Robert Mayer, Maurice Pauchon, Emile Rostain, et d'autres peu connus des Gapençais. (13) En 1949, M. Coras, fossoyeur à Gap, nous a dit : " Les Allemands ne m'ont jamais donné le nom des soldats à inhumer, ni le lieu ni la date de leur décès. J'ai creusé les fosses à la file, sans tenir registre. Mais je n'ai pas fait d'inhumation d'Allemands, autour du 20 juin 1944 ». Sources : Bulletin Société d’Etudes des Hautes Alpes (1967)

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